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jeudi 31 mars 2016

UN VESTIAIRE DANS L'AIR DU TEMPS

Quoi de plus naturel, de plus abstrait, de plus léger, de plus transparent,  de plus invisible que l'air (pur) ? Quoi de plus essentiel que l'air (pur) ?
Nous sommes capables de détecter toute cette subtilité véhiculée par l'air. Il change au gré des saisons, tout comme notre garde robe.  N'avez-vous jamais constaté que, hors des villes, l'air d'automne sent la mousse, les champignons, il nous met en appétit. L'air d'hiver est vif, frais, cinglant. Il rougit nos joues et gèle nos mains. L'air du printemps, délicieusement réchauffé par les doux rayons du soleil, caresse amicalement notre peau. Enfin l'air d'été, mine ne rien, l'air de ne pas y toucher, disperse à tous vents les fragrances des fleurs qui dessinent des guirlandes dans nos campagnes. Toutes les saisons ont des couleurs, notre vestiaire aussi.

Cependant, bien que l'homme empoisonne tous les jours un peu plus ce cadeau de la nature, il  n'a de cesse de le conserver intact, inodore, insipide, impalpable, comme au premier jour de la création.
Mais comme le pire n'est jamais certain, je sais qu'il existe encore des lieux d'une pureté primaire : j'en ai personnellement découvert deux.
Le premier est au Pérou. Sur les bords du lac Titicaca situé à 3600 m d'altitude, j'eus l'impression  que le ciel était à portée de main. Rien entre les étoiles et le bout de mes doigts sinon un espace vide et incroyablement transparent. Un air limpide, oui limpide. Cette pureté se sent et se voit. C'est une impression extraordinaire, difficilement explicable. Voir l'invisible semble absurde et pourtant je garde en mémoire une sorte de vide très présent.
Le second fut en Afrique du sud sur la pointe sud, à l'extrémité du continent africain, à portée de vue du "cap de Bonne Espérance” après plus rien que l'eau, l'eau et les glaciers très loin encore, le pôle sud. A cet endroit précis j'ai senti l'air, l'air pur, l'air qu'aucun autre humain n'avait respiré, l'air qu'aucun humain n'avait pollué venu tout droit des glaciers du sud. Je l'ai senti, non ressenti. J'en ai rempli mes poumons à en éclater, j'ai inspiré comme jamais, à vouloir prendre des réserves pour l'année. Une odeur de frais, de délicieusement naturel, avec un soupçon de je ne sais quoi de particulier, difficile à cerner, et encore plus difficile à décrire, peut être quelque chose qui dépasse la dimension humaine, l'espace infini.

Et les tissus dans tout cela me direz vous ? J'y viens. En les côtoyant quotidiennement, j'ai constaté qu'il existait des correspondances entre les étoffes et les forces naturelles qui nous entourent : ces quatre éléments essentiels sans lesquels la terre ne serait pas notre planète bleue : l'air, le feu, la terre, l'eau.
Ce sont les philosophes grecs qui sont partis d'une hypothèse selon laquelle tous les matériaux constituant le monde seraient composés de ces quatre éléments ; les étoffes seraient donc aussi concernées.
Après ce bon bol d'air, cette ballade au bout d'un monde, je me propose justement d'associer air et textile.
L'air c'est l'espace, l'infini ; ce devrait également être la pureté. Quels sont les tissus qui correspondent à ces idées? A priori des étoffes invisibles, claires, légères, immatérielles, et curieusement muettes, jamais un frou-frou plus haut que l'autre. Muettes je vous dis les mousselines et autres organza. Un courant d'air entre les plis d'un voile n'aura qu'une répercussion visuelle. Le calme et la sérénité sont des qualités que peuvent revendiquer ces étoffes dans le vent.

Comme l'air que nous respirons, ces étoffes jouent un rôle primordial dans notre quotidien. Elles habillent, protègent, préservent, décorent, embellissent, séduisent, parent, magnifient leur environnement immédiat. Des tissus aériens, transparents, légers, frissonnants, immatériels, les voilà qui bougent au gré du vent, les voici qui font le dos rond lorsqu'ils se remplissent d'air. De l'air, de l'air de l'air!!!

La plus simple des étoffes est la toile. Une toile fine et opaque, voire transparente : c'est le voile. Zénana, zéphyr, linon, baptiste. Quel que soit le nom qu'on lui donne, le voile frissonne au moindre souffle d'air, il habille nos fenêtres, nous protège des rayons du soleil. C'est lui qui masque le visage de la jeune mariée, qui cache les larmes des veuves.
Le voile est un écran imperceptible qui vole, masque, cache, suggère. Il aime l'air, il est proche de la nature, il incite au silence, il a la légèreté de l'insouciance, il est comme l'air, libre de ses mouvements, de sa gestuelle, il est authentique dans les matières naturelles, technique lorsqu'il est en fibre synthétiques.

Un autre tissu aérien sans doute plus précieux que le précédent : la mousseline ou chiffon selon l'appellation anglo-saxone. Tissage ambigu dont l'aspect est dépendant de la matière. La mousseline tient dans le creux de la main, elle est docile, inerte, presque invisible. Mais si elle affole les couturières les plus aguerries, c'est parce qu'elle cherche par tous les moyens à s'échapper de l'aiguille de la machine à coudre, sa finesse extrême la rend indomptable et la travailler devient un exploit. Le résultat en vaut la peine, la mousseline réchauffe avec une élégance ultime notre cou ; elle devient sensuelle lorsqu'elle se fait sous-vêtement ; pudique lorsqu'elle habille un décolleté, un rien coquine quand elle se transforme en déshabillé. La mousseline de soie est une acrobate de tout premier ordre lorsqu'elle accède à la liberté, elle tournoie dans les airs, s'épanouie dans le vent avant de retomber dans le silence absolu sur la terre ferme. Même pas mal, toujours impeccable.
  
Un petit troisième ?  La toile de parachute aussi dénommée toile de spi. Ce tissu est magnifié dès qu'il ne touche plus terre, il revit dans l'air, il prend ses aises, il s'enfle, gonfle mais n'éclate pas. Autrefois en soie au tissage très serré ne laissant pas passer l'air, il permettait aux parachutistes de freiner leur chute, voire de planer dans les airs. Aujourd'hui, le polyamide permet d'obtenir des tissus légers, solides, colorés souvent utilisé pour fabriquer de magnifiques cerfs volants et des voiles de bateaux.

Et pour finir je ne résiste pas au plaisir de vous présenter le prince des tissus : l'organza. 
C'est un fil de soie non décreusée qui confère une certaine raideur à cette étoffe. Elle est rare dans le prêt à porter, utilisée avec parcimonie dans la haute couture, difficile à travailler car il n'accepte pas le repentir. Le tissu autorise des modèles tout en volume, il emprisonne l'air dans ses plis cassés, il se sculpte. Il bouge avec brutalité et s'étale comme une nappe de brouillard, sans bruit, dans un souffle fantomatique. L'organza est indomptable, incontrôlable sur terre, mais il se révèle merveilleux en apesanteur. Il lui faut de l'espace pour exprimer sa beauté. Impossible de le contenir, il explose comme un pantin dès que l'on ouvre la boite ou la main.


Ces rencontres textiles n'ont d'autre but que de vous faire découvrir combien cet univers est  passionnant. De découvertes en découvertes, vous allez vous familiariser avec ces fibres qui jalonnent votre quotidien. Mieux les connaître c'est aussi prendre plaisir à  les choisir.
Je vous souhaite de devenir tissus addicts et alors, bienvenue au club !

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