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mardi 30 août 2022

LE BOUGRAN UNE ETOFFE MULTICULTURELLE

 LE BOUGRAN  

La diversité des matières  textiles se réduit  saison après saison, certaines disparaissent partiellement des inventaires des fournitures pour tailleurs, d’autres s’éclipsent  totalement dans les collection de prêt à porter et puis il y en a qui sont définitivement sorties du vocabulaire courant.  Le bougran a emprunté la voie de l’évolution si ce n’est celle de la révolution


DES PRODUITS DE SUBSTITUTION OSÉS

Certes  des succédanés on pris la place du bougran, comme les toiles thermocollantes, la triplure, et parfois même du carton, une bien mince consolation pour le consommateur!


 UN LONG PARCOURS

Comme de nombreuses étoffes,  le bougran,  depuis les échoppes des artisans ouzbeks jusqu’aux ateliers de Savile Road fut soumis à des changements physiques  radicaux, passant d’une étoffe délicate à un tissu grossier, a des usages divers de la doublure en laine des manteaux ouzbeks à une forte toile  de coton utilisée en reliure et ce long parcours à travers l’Asie Central et une partie de l’Europe lui valut  aussi quelques frasques “vocabulistiques “  


UN TISSU VOYAGEUR

Au XIIe siècle, on retrouve cette toile de coton  raidie dans de nombreux pays sous des  dénominations diverses Boqueran devient bougran en Français, buckram en anglais, bucherame, en italien et bucaran en espagnol. Si le bougran est présent dans la le vocabulaire courant de ces pays c’est la preuve  de sa notoriété. La valeur  commerciale fluctua sans jamais sombrer ou presque, en fonction des matières premières..


L’APPRET FAIT LE BOUGRAN

Belle toile de laine jadis,   fine toile de coton, avant cette définition des plus lapidaires qui se trouve dans les pages des dictionnaires contemporains « une grossière toile de coton ou de chanvre  raidie par un apprêt » 


DU NOM AU VERBE 

 Bougrener renvoie à l’action de renforcer tout type d'étoffe, en coton, en lin, en laine de manière à lui donner l’aspect du bougran


LE BOUGRAN AU FIL DE L’HISTOIRE : DU TOP AU FLOP

Au XIe siècle, on trouve une étoffe appelée boucana ou bougran au Soudan

Au XIIIe siècle, le bougran est devenu un étoffe grossière de laine commune de qualité très médiocre. Son manque de souplesse est adapté à sa mission de doublure, de soutien, pour les étoffes trop souples et les courtepointes.

Au XIVe siècle, le bougran devint un tissu de lin fabriqué à Chypre et en Arménie. A la même époque, c'est une sorte de mousseline de coton légère et précieuse car le coton est encore une fibre rare en Europe. Cette étoffe est alors utilisée par la noblesse. Il est d'ailleurs fait mention de boqueran blanc 

dans la description de la chambre de la reine Clémence de Hongrie.

Au XIV e siècle Marco Polo  dans ses écrits fait à plusieurs reprises allusion au  Bougran « la  capitale de l’Arménie Majeure s’appelle Arzinga, on y fait d’excellent buchiramus » « Le bougran est un tissu précieux au Malabar et même très fin à Machilipatam, aussi en  grosse laine pour pauvres au Tibet. »

Au XVe siècle, l’usage du bougran était  vaste allant des  vêtements, à la sellerie, aux  étendards

Au XVIe siècle Anne Boleyn possédait d’après les comptes de dépenses du roi Henri VIII un manteau et une robe de nuit en buckeram  Ceci s’il en était besoin prouve que la renommée du bougran  touchait toutes les couches de la société.

Au XVIe siècle, en Grande Bretagne, le buckram est une étoffe laineuse souvent utilisée pour les vêtements cléricaux.

Au XVIIe siècle un dictionnaire anglais  mentionne le Bocassin comme étant un fin bougran semblable à un taffetas

Du XIXe  au XXe siècle, le bougran est  une toile de coton  gommée et calandrée que le tailleur place à certains endroits du vêtement entre l'étoffe et la doublure pour donner du maintien. Au XXIe siècle  c’est un souvenir


LES ETYMOLOGIE HYPOTHETIQUES  SE BOUSCULENT

Logiquement  BOUGRAN  serait l’ altération de Boukhara, ville d’Asie Centrale, point de départ d'un grand nombre de marchandises précieuses comme les épices ou la soie vers les marchés occidentaux. Cependant et j’en conviens, cette merveilleuse cité située sur la route de la soie  est davantage connue pour ses tapis,  et ses monuments aux coupoles turquoises qui se détachent sur le bleu du ciel, que pour  le commerce de cette toile forte. 

Alors d’autres hypothèses sont fréquemment proposées comme

Le  Bougran viendrait de  bouc,  puisqu’à l’origine il fut dit on tissé avec des de poils de chèvre lorsqu’il s’agissait d’une étoffe fine et souple,  peut être avec la toison de la chèvre du cachemire ?,

L’italien bucherare qui se traduit par transpercer, pourrait aussi bien  s’appliquer au bougeant du XIe siècle qui était une toile grossière servant à doubler les vêtements  tissée avec les poils de la toison de chèvres communes . Les poils raides de cette doublure transperçaient le tissu  venant picoter les peaux fragiles!  Une hypothèse plus fantaisiste que sérieuse circule, bougran viendrait de Bulgarie  dont  les habitants étaient des « bougres », bigre !

Tout cela n’est qu’hypothèse la réalité n’a aujourd’hui que peu d’importance dans la mesure où le bougran n’a  plus qu’une existence historique

UN MONOPOLE BIEN EXPLOITE


Les  tisserands occidentaux ne se précipitent pas pour imiter ce tissu  sans doute trop banal bien que très utile, laissant le monopole de la production et du commerce du bougran  aux ouzbeks, chypriotes, indiens, arméniens, kurdes…


UNE GAMME RESTREINTE DE TEINTES

En Asie le bougran était souvent fantaisie, avec des motifs floraux et des couleurs vives même lorsqu’il servait de doublure, mais en occident, il est  blanc, noir, gris et toujours uni. Parfois, pour les reliure, la gamme s' élargie au  vert pour la reliure


« QU’IMPORTE LE FLACON »  C’EST TOUJOURS DU BOUGRAN !

Un temps tissé à partir des poils de chèvre, du  lin, du chanvre puis en coton, laine en fait tout  matériau susceptible d'être tissé. 

 

CES MESSIEURS « COLLET MONTÉ »

Les impératifs de la mode masculine obligent à certaines contraintes et, comme les femmes sont corsetés les hommes enfilent des vestes qui ressemblent davantage à des cuirasses qu'à des vêtements civils. La silhouette est modifiée, voire déformée. Le buste masculin se doit d'être non seulement bien garni mais également bien raide. Les cols et les revers immenses ne doivent pas se relever au moindre courant d'air ! Glissé entre le tissu et la doublures les tailleurs utilisent le bougran pour raidir “armer“ les étoffes trop souples.


LA REVOLUTION DU BOUGRAN

Au XIXe siècle de grands  hommes de lettres étaient préoccupé par l’importance de la place de la mode dans le quotidien de leur concitoyens et de Hugo à Balzac  unanimement ils critiquèrent l’usage excessif du bougran :  

"ce tourment des habits à collets et à revers rembourrés drap au dehors, carton en dedans." Détournant  l'objet incriminé de la mode, il en fera une arme politique assimilant ce vêtement lourd et guindé à la politique puritaine, académique et triste de Charles X. » Balzac. Peu avant la révolution de 1830 Balzac en appelle à la révolte de la France contre le bougran.


LE POIDS DE LA QUALITÉ

Jusqu'au milieu du XXe siècle, le costume masculin était encore empesé,  rigide et lourd, infligent des contraintes au squelette, comme le fut le corset pour les femmes. Le poids était une sorte de garantie de fabrication d’un vêtement, un tailleur avait à sa disposition un  nombre de fournitures qui au final donnaient cette allure masculine un brin guindée : épaulettes, mignonnette, bougran entoilage, feutre, doublure, ceinture de pantalon..doublure de manches , épaulettes


DE LA QUATÉGORIE POIDS LOURDS A LA CATÉGORIE POIDS PLUMES

Les raisons de la disparition du bougran sont aussi  nombreuses que ses différentes versions, Désormais la mode masculine se décline  tout en souplesse et légèreté. Le prêt -à -porter a changé la donne. Les tissus pour répondre à la demande  des consommateurs sont de plus en plus légers, de plus en plus souples, les supers 100 sont dépassés par les supers 180, 200 et les fournitures pour tailleurs ne sont plus que des souvenirs, mais c’est le jeu, un jeu de pouvoir et pour une fois c’est le consommateur qui est le vainqueur!