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samedi 16 mars 2013

LA FINE FLEUR JAPONAISE : FUJIFU WISTERIA

La tige, la fleur, la fibre et au final l'étoffe


Wisteria ? Lane ? Non wisteria flower! Fuji film? Non Fujifu tissu!  
Ce tissu est un petit trésor qu'une entreprise japonaise a sauvé de l'oubli. J'ai eu la chance de voir et de toucher ce Fujifu wisteria lors d'une exposition. L'intérêt que je porte à ce produit est un peu celui d'un archéologue qui s'intéresse à un objet inconnu qu'il vient de découvrir. Le fujifu à piqué ma curiosité et voici le produit de "ma récolte".   


LAISSONS LA NATURE ENTRER DANS LE DRESSING
C'est à partir de la tige de la glycine du Japon que l'on obtient une fibre textile  puis un tissu exclusif : le fujifu wisteria.

                                    Le bois de la tige et le tissu


UN TISSU MUSEE OUI, MAIS VIVANT
Cette technique ancestrale qui utilise une fibre végétale faillit tomber dans les oubliettes du modernisme. Mise à mal par l'arrivée du coton, le fujifu déclina; les ouvriers et les paysans japonais, optèrent pour la facilité. Le coton était plus facile à filer et à tisser que les fibres provenant de plantes sauvages. Plus tard, l'attrait des fibres chimiques, plus solides, plus faciles à entretenir et financièrement plus accessibles, donna le coup de grâce à une fibre traditionnelle. La concurrence était trop rude et cette pauvre wistéria ne put résister. C'est ainsi que le fujifu devint un produit "musée". Mais c'était sans connaître la volonté farouche des japonais à vivre dans deux mondes : celui d'hier et celui d'aujourd'hui.


UNE COHABITATION DES ANCIENS ET DES MODERNES
Les  japonais, conscients de la richesse de la tradition, délaissèrent cette subtile étoffe au profit de tissus moins naturels mais tellement plus fonctionnels. Le renouveau dans l'alimentation, avec le développement des "anciens légumes, des fruits non calibrés" autorise une pensée positive pour le domaine du textile. Pourquoi ne pas revoir des tissus à l'ancienne, cohabitant avec les fibres du futur? 


LES PASSEURS DE TRADITIONS
Mais nous sommes au Japon où les traditions ont la vie dure. Les artisans sont des personnages importants et respectés. Ils ont un pouvoir certain sur le comportement des consommateurs. C'est sans doute ce qui nous manque en Occident : l'admiration et le respect des artisans et de leur travail. Au Japon, ces maîtres artisans sont supportés par le gouvernement et par tout un peuple fier de son patrimoine culturel, ils sont les passeurs de traditions.


UNE REDECOUVERTE
Sans la ténacité de Monsieur Masao Hoishiara, le fujifu aurait sans doute disparu totalement des mémoires et des rayons des magasins. 
Il a redécouvert ce tissu, s'est intéressé à sa fabrication, a acquis ce savoir faire indispensable et est passé à la production. Toutes les opérations étant manuelles, la production est faible mais constante. Après quelques décennies, ce Maître artisan a passé le relais à son fils. Belle réussite même si ce tissu est encore un produit d'exception. La communication de l'entreprise est parfaite. Monsieur Masao Hoishiara est le représentant officiel du fujifu, qu'il présente à travers le monde, souvent invité vedette d'expositions textiles.
Située dans la région de Kyoto, Yushisha est actuellement la seule société produisant ce tissu.
                                                Du fil au tissu


DU QUOTIDIEN A L'EXCEPTION
Jadis, les japonais utilisaient pour leurs vêtements quotidiens, des fibres végétales obtenues à partir de plantes communes. Ils surent tirer profit de la nature environnante. Les exemples ne manquent pas. Au nord, dans l'île d'Hokkaido, c'est le kumazasa, sorte de bambou nain, qui peut être transformé en fibre textile. Il existe aussi une herbe sauvage qui ressemble au chanvre : le chôma qui, filée et tissée, donne le yakizarashi, une étoffe rustique utilisée pour les vêtements de travail. La glycine du Japon était présente dans de nombreuses régions du pays et permettait la fabrication d'un tissu solide adapté à la demande des ouvriers et des agriculteurs. La nature procurait à l'homme de quoi se nourrir et aussi se vêtir comme partout dans le monde. Mais  comme partout dans le monde, les choses changent et, à l'arrivée du coton, l'usage des fibres de glycine déclina.


UN BIEN CULTUREL IMMATERIEL
Seya, un petit village situé dans la péninsule de Tango au nord de Kyoto demeura fidèle à la tradition. Les artisans continuèrent à tisser le fil de wisteria.
Les japonais honorent et sauvent de l'oubli certains de leurs produits traditionnels en les classant parmi les "biens culturels immatériels". C'est le cas du fujifu comme de quelques autres tissus : Echigo jofu, un crêpe de ramie dont la technique de fabrication est propre à une région depuis des siècles.
Aujourd'hui, ce sont des trésors qui vivent grâce à la détermination de quelques uns. Il faut être très motivé et peut être même inconscient pour se lancer dans un tel défi. La technique de fabrication réclame un savoir faire indispensable ; l'unité de temps n'est pas l'heure mais la journée. Résultat : un tissu diffusé en quantité infime sur le marché mondial. C'est sans doute ce qui lui donne sa valeur. La rareté est, en effet, un luxe aujourd'hui.  


DU PASSE AU FUTUR
Il serait aisé de copier les modèles classique des vêtements, les motifs ancestraux, mais il faut aller de l'avant, et en conservant la méthode traditionnelle on peut produire des articles plus "contemporains". Par exemple le Obi, ceinture traditionnelle japonaise est revisité, de nouveaux motifs sont proposés dans des couleurs variées. La tradition autorise quelques modifications. 


UN TISSU SENTIMENTAL
Ces étoffes artisanales utilisant des fibres peu courantes extraites de plantes sauvages communes, sont des vecteurs de sentiments. Qu'il s'agisse d'un tissu de lotus ou de glycine, il y a une adéquation entre lui et nous. Pourquoi ? L'étoffe vibre de tous ses filaments et transmet des signaux que l'on détecte aussi bien avec le toucher qu'avec la vue ou l'odorat. La présence de la main de l'homme est visible par les petites imperfections qui seraient considérées comme des défauts dans un produit industriel.  
Avec un article "hand made" presque "home made", une proximité avec l'artisan se crée. On imagine qu'une personne est à l'origine du tissage alors qu'avec un article industriel, on pense à l'utilisation avant tout. Empirique ou moderne, beau ou fonctionnel ? Et pourquoi pas tout ?
Ce que j'aime avec une étoffe, c'est sa présence, son humanité, ses imperfections. Et puis qu'il est bon et agréable de toucher, de caresser une étoffe, de la sentir parce que la nature ne perd pas ses droits, elle résiste et nous  raconte les prairies, les rivières, le ciel, le soleil...

Du fil au tissu, 


L'odeur de l'herbe fraichement coupée est caractéristique des tissus en fibres de lotus, avec le fujifu c'est plus l'herbe sèche, le bois, la terre qui ressort.  La tige de la glycine du Japon dans son élément naturel est similaire à une liane, ce qui donne des longueurs intéressantes pour des fibres textiles. Qui imaginerait que la nature se cache encore dans le tissu? Faites l'essai, c'est revigorant, cela nous rend conscient qu'un monde  parallèle, merveilleux existe encore, et qu'un tissu peut aussi provoquer une émotion. 


UN TISSU EMPRUNT DE SPIRITUALITE
A travers la texture de l'étoffe, la difficulté du travail est sous-jacente. Maîtriser la matière n'est pas à la portée de tout le monde. Tout n'est pas lisse, uniforme, impeccable. Cette infime quantité de "raté" humanise ce tissu. 
Cette matière textile peut être douce et brillante, raide et terne, claire ou foncée. Elle  hésite entre  le tissu et le papier, n'a l'air de pencher ni d'un coté ni de l'autre mais les réunit. Elle est sans égal dans un monde qui voudrait ignorer l'artisanat tout en y rêvant.
Dans les sociétés occidentales, le vêtement est utilisé comme protection, parure ou par pudeur. Ce n'est pas la vision des choses en Asie. Le tissu artisanal véhicule un sentiment qui perce à travers le travail de l'artisan, la touche humaine, la tradition. Une osmose se crée entre le tissu, la forme du vêtement et le corps humain. Longue tradition, lourde tradition mais, au final, un bonheur de savoir ce que l'on porte, la traçabilité des fibres, parfois le nom de l'atelier ou celui de l'artisan. Je pense encore à un pull tricoté en grosse laine blanc cassé, avec de grosses torsades, achetée en Irlande il y a quelques décennies. Il y avait une étiquette cousue à l'intérieur qui portait, écrit à la main, le nom et le prénom de la tricoteuse à qui je devais cet article. A chaque fois que je le mettais, je pensais à cette dame qui tricotait pour des inconnues mais avec plaisir. J'adore ces petits plus.
Ce sont des pièces uniques et, si autrefois elles étaient portés quotidiennement par les ouvriers ou les paysans, elles sont aujourd'hui le fil conducteur de la transmission d'un savoir faire qui sauve un patrimoine de l'oubli.


LA NATURE SUR LA PEAU
Passer un vêtement coupé dans un métrage de  fujifu, nouer une écharpe en fibre de lotus autour du cou, enfiler une chemise en black mud silk… Début d'une histoire d'amitié qui durera jusqu'à l'usure, oubliant les diktats de la mode. Pourrait-on avoir une telle connivence avec un T-shirt en polyamide fabriqué en 10 000 exemplaires ? Sans doute pas, mais le but recherché n'est pas le même. Ne comparons pas ce qui ne l'est pas. L'un est de l'ordre du superflu, de l'exceptionnel, l'autre se réclame du fonctionnel, du quotidien. 

S'HABILLER OU SE FRINGUER?
Les deux mon capitaine. Inutile de choisir. Garder le rationnel pour le quotidien et s'habiller avec un soupçon d'irrationnel pour le plaisir ; voilà l'idée. L'habit du dimanche était une jolie façon d'exprimer la notion d'exception, de qualité d'un costume.


UNE PHILOSOPHIE TEXTILE
Et si c'était le bon moment pour changer notre manière d'appréhender la mode ? Cette enveloppe textile que d'aucuns nomment le vêtement peut être envisagée d'une façon différente. Sortons de notre univers étriqué et allons voir ailleurs. Ouvrons les portes de nos placards, rendons nos fringues dignes de devenir nos habits. Où sont nos costumes traditionnels ? Dans le folklore des fêtes de villages ou dans les musées. Pourquoi ne pas optimiser notre héritage, car nous avons un passé textile important. Souhaitons que l'avenir soit aussi brillant.
Le costume traditionnel au Japon demeure le Kimono, c'est un lien inter-générationnel. Le passé cohabite avec le présent dans une société au sommet de la technique. Le kimono se porte très souvent à l'intérieur, dans l'intimité de la famille. Le costume occidental est alors oublié, les chaussures rangées à l'entrée de l'habitation. Le kimono est un refuge, un "doudou" ? Et nous, que nous reste-t-il ? Les chaussons ? Lorsque l'on regagne nos '"pénates",  ne nous  déchaussons-nous pas pour chausser des chaussons ? Et une robe de chambre, parfois un peignoir, ou encore un jogging : tout pour ne pas demeurer prisonnier de jeans trop serrés, de manteaux trop lourds, de chaussures trop hautes. Laisser vivre le corps, ne plus l'entraver, c'est un principe que l'on devrait suivre.
Si les fibres chimiques sont plus complexes que les fibres naturelles, elles sont au final moins mystérieuses. Dévoiler les origines des fibres végétales, animales, minérales, c'est aussi découvrir les possibilités d'un renouveau vestimentaire. En laine, en soie, en lin, en ramie ou en glycine, il y a derrière tout cela une matière qu'il faut utiliser et non user, traiter avec civilité, respecter le processus d'entretien préconiser. C'est plus long, plus contraignant : il faut le savoir et l'accepter. Acheter ces produits doit être une démarche aussi consciente que celle qui vous pousse, ou pas, à acheter des produits alimentaires issus de l'agriculture biologique. Oublier le consommable/jetable, serait du gâchis. Nous sommes les héros de l'aventure artisanale, sa survie dépend de nous. Sans clients, point de salut.


UN QUOTIDIEN MOINS QUOTIDIEN

Si nous faisions de nos vêtements des amis, nous aurions dans nos tiroirs et nos armoires autre chose que des fringues ? La nature offre des matières premières ; sachons en profiter sans en abuser.
Le fujifu, le tissu en fibre de lotus, la black mud silk, sont des ponts entre la nature et l'homme des villes. Faisons entrer dans notre garde-robe un peu de nature.
Foin ? Non fil de wisteria en devenir


FIBRE HISTORIQUE
Les premières chaussettes en fibres de glycines apparaissent au Japon au IIIe siècle après J-C. Au Xe siècle, un poème mentionne la fibre de glycine utilisée pour confectionner un vêtement de deuil ; c'est dire que le fujifu était largement diffusé dans le pays.
Un vêtement taillé dans un métrage de fujifu était réservé aux grandes occasions. Aujourd'hui comme hier, ce produit fait rarement partie du  quotidien.
L'extraction de la fibre se fait toujours suivant la tradition. Les anciens ont livré leurs secrets et les plus jeunes appliquent les consignes transmises.


LA RECETTE
La technique est simple mais réclame de la patience, du temps et un savoir faire. C'est cette combinaison qui donne à l'artisanat tout son sens.  
Comme la plupart des fibres végétales obtenues à partir de plantes ou de fleurs sauvages, il faut récolter et travailler le produit encore frais. 


Dans le cas de la tige de glycine, l'atelier n'est pas éloignée du lieu de la récolte. Les opérations vont se succéder et, du bois au fil, il y a une bonne dizaines d'étapes. Le travail est réalisé en grande partie par les hommes. Il faut racler l'écorce, faire bouillir les fibres, les rincer dans l'eau de la rivière puis les faire sécher avant le filage avec le rouet pour compagnon. L'habitude accroit l'habileté, les gestes sont réguliers, puissants, rapides et précis.





Avant le filage  
 Comme pour la black mud silk ou les fibres de lotus, il serait difficile de délocaliser ce tissage dans d'autres régions. C'est un produit local. Non seulement les glycines s'épanouissent dans la région de Tango, mais l'eau de la rivière est parfaitement adaptée au rinçage. Ailleurs, le tissu serait différent.

La fleur, le bois de la tige, la fibre et le tissu 
LE FUJIFU, UN TISSU CAMELEON
La texture du fujifu diffère en fonction de la filature. Le fil peut se rapprocher visuellement d'un fil de chanvre ou de lin, selon la finesse. Au toucher, il peut être rustique ou lisse, rêche ou soyeux selon les finitions. Une fois transformée en fil, si le but est d'obtenir un produit lisse, il faut l'ébarber. Une opération qui se fait manuellement, et surtout avec patience.
Aujourd'hui, pour répondre à la demande, le fujifu se fait plus soyeux, plus doux, plus brillant, plus souple. Il est possible de lui donner un aspect moins sophistiqué, par exemple en conservant un fil irrégulier, d'un diamètre plus important. Le tissu obtenu sera plus lourd et moins souple.

La nature des teintures joue aussi un rôle dans l'aspect final du produit.

UN AUTRE MONDE UNE AUTRE MODE

Imaginons un moment une mode qui mettrait en vedette les fibres, la matière textile, la matière première indispensable sans laquelle les vêtements ressembleraient à ceux de l''Empereur dans le conte d'Andersen "les habits neufs de l'empereur"  c'est à dire qu'ils seraient invisibles.
La mode occidentale est telle que les vêtements conservent leur forme même  vidés de notre corps. Cela signifie que nous devons nous débrouiller pour que notre corps s'adapte à la forme  du vêtement. Ceci dit, nous suspendons nos vêtements à des cintres pour les ranger. En Asie le vêtement ne prend forme qu'une fois habité par le corps humain, autrement il n'est rien qu'une étoffe. C'est le vêtement qui s'adapte à la forme du corps humain. Et cette fois ils sont pliés et non suspendus dans les armoires . Je  ferais un rapprochement une fois encore avec la cuisine : remplaçons un kimono par un sachet de champignons déshydratés. Ils ne sont rien qu'un peu de matière desséchée. Mais une fois trempés dans l'eau ils reprennent force, forme et volume. Voilà notre kimono qui plié ne ressemble à rien d'autre qu'un morceau d'étoffe mais qui va reprendre forme en enveloppant un corps ; il  joue les rôles pour lequel l'homme l'a imaginé. Il est porté par pudeur par protection et comme parure séparément ou tout à la fois.

Moi je vote pour cette mode dont le héros serait notre corps et l'enveloppe textile  c'est à dire le vêtement un accessoire seyant et protecteur . Et vous?

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