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mercredi 27 avril 2011

La fille qui parlait aux tissus

Regarder un tissu c'est un acte bien banal, disons automatique c'est quelque chose qui se trouve dans notre champ de vision, il fait partie d'un tout, de l'environnement, du décor, mais voilà, le quotidien gomme la curiosité
 
Voir un  tissu c'est plus que regarder c'est une action voulue, un acte  réfléchi, comme entendre c'est plus qu'écouter
Voir un tissu c'est le découvrir  avec une loupe et pour les professionnels avec un compte fil (qui ne quitte jamais le fond de  leur poche)


Comprendre une étoffe c' est encore une autre option. Ce n'est pas avec l'aide d'une quelconque machine, loupe microscope, compte fil, c'est une accumulation de connaissances, c'est un échange, c'est épidermique, on se glisse entre la chaîne et la trame, on pénètre la fibre, on soupèse la matière, on scrute la couleur, on estime la main. La subtilité d'un motif, la légèreté du tissage, l'intensité de la teinte, le toucher de la matière, tous ces éléments entrent en ligne de compte, mais c'est avant tout un accord, une entente, une affinité avec ce produit. En fait, tous nos sens sont en émoi lors d'une rencontre  entre une étoffe et nos sens

 C'est une joie de toucher, c'est un événement de sentir, c'est une découverte de goûter, et c'est encore un plaisir de voir des fibres textiles s'emmêler, se chevaucher, se superposer, se croiser pour au final donner naissance à un tissu. 


Cette direction, voilà longtemps que je l'ai empruntée. Etrange peut être, mais confidence pour confidence, j'aime les tissus, je me sens aussi bien parmi eux qu'au milieu d'un jardin, je parle aux arbres, aux fleurs, aux plantes, 
je les complimente, parfois je les gronde, souvent je les admire. Et bien, mon rapport avec les tissus est très similaire. Chaque matin en ouvrant le magasin ce sont des amis qui m'accueillent, ils me  rassurent, ils m'encouragent, ils sont là, fidèles et fiers. C'est toujours avec un pincement au cœur que je me sépare de l'un d'entre eux, mais c'était le deal dès le début, et je sais que la personne qui les achète les aimera aussi. Ensemble, en vous attendant nous discutons en silence.
Saviez-vous que dans certaines civilisations, chez les indiens d'Amérique par exemple, on ne coupe pas le tissu, on n'interrompt pas le fil de la vie, on ne coupe pas la parole ; c'est pourquoi le vocabulaire vestimentaire est réduit et les vêtements plus souvent drapés que coupés cousus. Par respect pour le tissu, pour ce flot de fil, cette abondance de matière, on se doit de lui conserver son identité, donc sa globalité.
 Je les connais presque tous, je sais où ils se trouvent, et dans ce désordre qui n'est qu'apparent, je connais chaque habitant. Cet univers fait de couleurs et de matière  dans lequel j'évolue, me passionne. Chaque jour je  retrouve, je redécouvre, un imprimé attire mon regard et je pars dans mes rêves, je m'évade sur le dos d'un nénuphar, je courre après un oiseau, je délire à travers les méandres d'un ikat.
Les tissus et nous cela peut aussi être une histoire d'amour. Souvent, lorsque je demandais aux visiteurs de la boutique De Gilles s'ils avait besoin d'aide, et souvent j'endentais la même réponse , de la part des femmes plus que des hommes :  "merci, mais je cherche le coup de foudre", un tissu dont je ne me lasserai pas, une étoffe qui me ressemble, celle qui me plaira. En fait, le tissu idéal, mais cette quête est-elle un rêve ou une réalité, mais je suis certaine qu'il existe quelque part un tissu qui vous est destiné… Cherchez le.  N'est-ce pas là un vocabulaire amoureux ?
Alors oui vraiment, prenez le temps de choisir, de trouver le tissu de vos rêves, prenez le temps de faire connaissance et  vous ne regretterez pas ces quelques instants consacrés à ce monument créé par la main de l'homme. Au nom des tissus, je vous remercie d'avoir pris conscience de leur existence et de la place qu'ils occupent dans votre univers.

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