LES IDEES ET LES MOTS
Le mot panorama est une création du peintre irlando-écossais Robert Barker. Construit sur le grec ancien pan = tout et horama =vision, cela donne littéralement vue globale, vue d’ensemble. Cette notion décrivait parfaitement l’idée, a priori incongrue, que l’artiste avait en 1787 d’exposer sur les murs d’une salle circulaire une série de toiles représentant des vues à 360° de la ville d’Edimburgh. Entre grec ancien et anglais moderne, le mot est entré sans crier gare tel quel dans le vocabulaire français.
LE PAPIER PEINT PANORAMIQUE
C’est un revêtement mural dont le décor au format XXL est continu, sans répétition. Les lés ou panneaux peuvent être collés d’un seul tenant ou séparément L’absence d’encadrement ou de bordure libère l’image qui, visuellement, agrandit l’espace gomme les angles. Le but ? Produire un effet visuel donnant l’illusion de l’espace.
IL Y A TOUJOURS UN DEBUT A UNE HISTOIRE
La décoration murale n’est pas née hier, ni même avant hier ! Remontons le temps avec les peintures rupestres de Lascaux, les fresques de Pompeï ou les mosaïques du Taj Mahal. A l’origine des panoramas il y eut les veduti, séries de vues de Rome peintes depuis les collines environnantes au XVIe siècle, image par image, rassemblées en un tout donnent une vue générale de la ville.
LES PANORAMAS AVANT LES PANORAMIQUES
Robert Barker préconisait que les salles où il exposerait ses œuvres ne devaient avoir qu’une seule et unique source de lumière provenant d’un éclairage zénithal, afin d’éclairer les toiles tout en laissant dans la pénombre les spectateurs placés sur une plateforme érigée au centre de la pièce. Tout était fait pour donner l’impression au visiteur qu’il faisait partie du tableau qui l’entourait de toutes parts. Le succès de ce divertissement populaire entraina la construction de multiples bâtiments circulaires baptisés panoramas en Europe.
Le saviez vous ? C’est l’américain R. Fulton, qui fit construire les premiers panoramas parisiens en 1799. A Paris, deux anciens panoramas existent, bien que leur destination ait changé en quelques décennies : il s’agit du théâtre du rond point et du théâtre des Champs Elysées.
Le saviez vous ? Si le passage qui débouche sur le boulevard Montmartre est baptisé passage des panoramas, c’est parce qu’il reliait au début du XIX e siècle deux panoramas aujourd’hui disparus. Mais pour les curieux, il existe encore des panoramas en activité, notamment à Waterloo et à Sebastopol.
Avec le recul, on comprend que le public, un tantinet naïf, ait pu être conquis, intrigué, amusé, médusé par cette attraction.
En aparté : J’aime ce concept décoratif où l’imaginaire est en vedette, je m’y
engouffre avec délice et curiosité. J’accepte l’illusion d’optique pour mieux en jouer.
APRÈS LES PANORAMAS STATIQUES, LE MOUVEMENT PREND LE PAS
Aux panoramas, succèderont en 1822, les dioramas et leurs images animées, une attraction rendue obsolète avec l’avènement de la photo, puis du cinéma.
LES PANORAMIQUES, UNE ILLUSION SPACIALE
A la fin du XVIIe siècle, en réponse au succès des panoramas publics, les manufacturiers français proposèrent des panoramiques ou panoramas domestiques. Leur spécificité résidait dans la conception même de ce revêtement mural : créer un environnement visuel inattendu : le volume se dilate, les murs disparaissent; l’espace s’ouvre vers l’intérieur.
UNE CONSTRUCTION SAVAMMENT ETUDIEE
Contrairement aux papiers peints traditionnels qui présentent des motifs répétitifs sur un rouleau, les panoramiques se composent d’un certain nombre de lés ou panneaux qui sont assemblés pour créer une image panoramique continue sur un mur ou une surface.
UN VOYAGE SEDENTAIRE
Et si c’était l‘idée sous jacente de cette forme de décoration murale ? Une opportunité pour le “spectateur“ d’entrer dans une autre dimension, dans un monde imaginaire, dans un faux semblant qui vous emmène au bout de vos rêves. À une époque où les distances constituaient un obstacle, voyager était une épreuve, les panoramiques créaient des "voyages virtuels" en affichant des paysages lointains, une végétation luxuriante mais souvent imaginaire.
SE LAISSER BERCER D’ ILLUSIONS
En toute conscience, nous le savons, les panoramiques sont des mirages, mais qu’importe, acceptons le challenge et savourons notre plaisir.
Bien que le douanier Rousseau n’ai jamais visité les contrées lointaines qu'il représentait dans ses peintures, les sources d’inspiration à sa portée n’étaient que les jardins botaniques, zoos et autres expositions coloniales. Il sut nous offrir sa réalité sincère, quoique teintée de naïveté, tel est le talent de l’artiste !
UN JOLI PARCOURS POUR CES LONGS METRAGES
Le premier long métrage européen pourrait être la broderie dite “tapisserie“ de Bayeux, cette bande de 0,50 m de large sur 70 m de long qui déroule, scène après scène, l’épopée de Guillaume le Conquérant.
LE MOUVEMENT APPARENT
Un trajet semé d’embuches pour les soldats du Duc de Normandie, mais un chemin rectiligne pour le visiteur. Au fur et a mesure que l’on avance, les séquences de cette bande dessinée se succèdent (broderies en laine sur une toile de lin) et, petit à petit, les personnages semblent s’animer sans que rien ne bouge, si ce n’est le spectateur.
PAPIER PEINT VERSUS PANORAMIQUE
Le papier peint panoramique est un revêtement mural qui se distingue des traditionnels papiers peints par ses dimensions hors normes.
LA TRES HAUTE COUTURE ALSACIENNE
La fabrication des panoramiques de la plus ancienne manufacture française de panoramiques, Jean Zuber, installée en 1784 à Rixheim en Alsace, nécessitait un nombre considérable de planches de bois gravées ainsi qu’une une équipe d’artistes et d’artisans qualifiés. Ces productions furent remarquées par des amateurs, non seulement en Europe, mais dans le monde entier.
LE ROCAMBOLESQUE PARCOURS DU PANORAMIQUE DES VUES DE L’AMERIQUE DU NORD DE LA MANUFACTURE JEAN ZUBER
En 1961, Mme Kennedy décida de redécorer la résidence présidentielle. Or concomitamment, la maison Jones, une bâtisse vieille de plus d’un siècle située à Thurmont dans le Maryland, était sur le point d’être démolie. Peter Hill, antiquaire brocanteur bien informé, se rendit sur les lieux. Il y découvrit un panoramique poussiéreux qui couvrait les murs d’un long et sombre couloir. Un travail exceptionnel sorti des ateliers de la manufacture alsacienne de Jean Zuber en 1834. Composé de 32 vues de « l’Amérique du Nord » dont : le pont naturel en Virginie, les chutes du Niagara, la baie de New York et le port de Boston réalisées par le peintre Deltil d’après des gravures du XVIIIe siècle. 1690 blocs de bois gravés furent nécessaires pour exécuter ce chef d’œuvre.
Acquise pour 50$ par cet homme, elle fut sauvée in extremis. Mais, décoller le papier dans les plus brefs délais avant démolition s’avéra périlleux. Précautionneusement, avec un matériel des plus sommaires, il récupéra sans détérioration le panoramique. Peter Hill contacta le Smithsonian Institute qui alerta mme Kennedy qui fut séduite par ce panoramique. Le NSID (National Society of Intérior Design) acheta ce décor mural à Peter Hill pour la somme de 12 500 $ et en fit don à la Maison Blanche.
Mme Kennedy lui offrit une seconde vie et une place d’honneur sur les murs de la Diplomatic Reception Room ou salon des ambassadeurs. C’est ainsi que, malgré une acquisition fort peu conventionnelle, le savoir-faire français est présent à l’autre bout du monde.
LES ARTISTES DE L’OMBRE . La réalisation de ces magnifiques panoramiques fut un travail d’équipe. Les plus importants furent le dessinateur Mongin, le peintre Deltil et le chimiste Eherman pour la partie florale des panoramas, et Zibelius, ornemaniste de grand talent.
OUBLIER LES MURS, ABOLIR L’ESPACE
Occulter les murs, ces surfaces planes et inertes, en les sublimant artistiquement ou les utiliser comme simple support pour la décoration intérieure semble avoir été la préoccupation de nombreuses civilisations. Si tout n’est pas, comme le dit Baudelaire, «…qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté », c’est au moins une invitation à élargir le champ de vision vers l’intérieur d’un espace clos d’une pièce.
LES PAYSAGES OU SCENES PITTORESQUES Au XVIIIe siècle, les premiers panoramiques furent réalisés à partir de dessins, de peintures qui s’adaptaient au goût du public. Scènes pastorales, paysages bucoliques ou urbains. Mais pour le plus grand plaisir des clients, les paysages étaient généralement idéalisés, moyen de créer un environnement pittoresque. Le saviez vous? Pourquoi pittoresque? Si l’on se réfère à l’étymologie, de l’italien pittore peindre, cela devient alors une évidence : ces vues sont dignes d’être peintes pour leur aspect séduisant elle sont « aimables ».
LES PANORAMIQUES ENTRE ART ET DECORATION Avant le XIXe siècle, la décoration d’un intérieur reflétait le statut social du propriétaire, généralement issu de la noblesse ou de la grade bourgeoisie, les seuls à pouvoir s’en préoccuper. Chaque œuvre était réalisée à l’aide de planches de bois gravées – 2 à 3000 pour un panoramique – qui étaient trempées séparément dans chaque couleur avant application, comme des tampons. Ces articles prestigieux étaient, comparable aux produits de la Haute Couture. La main d’œuvre qualifiée travaillait avec des matériaux haut de gamme. Avec la révolution industrielle, les inventions se succédèrent et la fabrication artisanale des papiers peints faisant de chaque panoramique une pièce unique passèrent progressivement, avec l’invention de la lithographie, à une production industrielle. Ces progrès permirent de baisser leur prix de revient, drainant ainsi une nouvelle clientèle.
DU "HOME SWEET HOME“ DU XIXE SIECLE A CELUI DU COCOONING DES ANNEES 80 : LE CHANGEMENT DANS LA CONTINUITÉ Au milieu du XIXe siècle, des appartements bourgeois aux logements des classes populaires, la décoration d’intérieur s’invite. Après le strict nécessaire, le superflu devient incontournable et la maitresse de maison s’attèle à faire de son foyer un lieu agréable et confortable. C’est sa personnalité plus que son statut social qui se dégage de l’ambiance du « home ». Depuis des décennies, la communication des éditeurs de panoramiques insiste sur ce point et proposent presque tous des panoramiques sur mesure, plutôt à la mesure des goûts d’une clientèle désireuse de personnaliser son intérieur, miroir de leur personnalité.
LE DEPAYSEMENT A PORTEE DE VUE Le papier peint est de plus en plus accessible financièrement, mais les panoramiques demeurent encore et pour longtemps des pièces d’exception artistiquement et financièrement. Cependant, ils demeuraient plus abordables que les boiseries ou les tapisseries et, au XIXe siècle la bourgeoisie, avide de nouveautés, en fit grande consommation. Le saviez vous ? Dans le Père Goriot, Balzac décore d’un panoramique les murs du salon de la pension Vauquer. « le surplus des parois est tendu d’un papier verni représentant les principales scènes de télématique et dont les classiques personnages sont coloriés ». Le panneau d’entre les croisées présente le tableau d’un festin donné au fils d’Ulysse par Calypso.
PANORAMA DE QUELQUES GRANDS EDITEURS DE PANORAMIQUES
Zuber (France) : Fondée en 1797, c’ est l'un des plus anciens fabricants de papiers peints panoramiques. Leur expertise artisanale et leur engagement envers la qualité en font une référence dans l’industrie. Wall&Decò (Italie) : Wall&Decò propose des papiers peints contemporains et avant-gardistes. Cole & Son (Royaume-Uni) : Fondée en 1875, la production allie tradition et modernité, Rebel walls (Suède) : fondée en 2012, « un rebel est quelqu’un qui reste fidèle à lui même » propose une infinité de thèmes et de modèles pour ceux qui veulent exprimer leur personnalité dans le décor de leur Home ou de leur lieu de travail. Isidore Leroy (France) crée son entreprise de papiers peints en 1842 ; il révolutionne la technique d’impression du papier peint en créant une machine capable d’imprimer le papier en continu comme pour le tissu. Les trois fondamentaux de la société : l’avance technologique, l’excellence du produit, l’élégance du design sont toujours d’actualité dans la société reprise par Jean Etienne. En 2016, c’est la première collection du « nouveau Isidore Leroy ». Depuis, les collections se succèdent en collaboration avec de prestigieux designers. Inkiostro Bianco (Italie) : La créativité et la recherche de la beauté sont les éléments de base d'Inkiostro Bianco. Un fabricant de papier peint italien spécialisé dans l'impression numérique. Les Dominotiers (France) : spécialiste des panoramiques sur mesure. Pierre Frey (France) : Cette maison de design propose des papiers peints panoramiques qui allient tradition et modernité.
D’HIER À AUJOURD’HUI, LES PANORAMAS SE REINVENTENT
L’idée fut remise au gout du jour et du public par la société Exhibition Hub qui propose un peu partout dans le monde une attraction peu ou prou similaire à celle des panoramas du XVIIIe siècle. Les spectateurs sont tout environné par l’image à 360° et, de Paris à Séoul, de New York à DubaÏ, le succès est au rendez-vous. Pas de papier peint mais une immersion totale dans l’œuvre de peintres célèbres, grâce à la maitrise des techniques récentes comme le vidéo mapping. L’ambiance sonore vient accentuer les effets, et le spectacle, car c’est de cela qu’il s’agit, est visuel et sonore. Je ne sais pas ce que l’on nous promet pour demain, mais ce qui est à notre disposition en 2023 est déjà fort interessant.
LES PANORAMIQUES PUBLICS VOUS ATTENDENT
Si vous n’êtes pas encore décidé à acquérir un panoramique, sachez que les murs de deux musées parisiens vous proposent des œuvres « immersives » avec les créations audacieusement colorées de deux artistes : Monet et Dufy.
Au sous-sol du musée de l’Orangerie à Paris. les nymphéas de Claude Monet couvrent les murs circulaires de cette salle dont l’éclairage zénithal fut voulu par l’artiste lui même. Placez-vous au centre de la pièce, prenez place et laissez-vous entraîner par votre imagination, rêvez : « L’illusion d’un tour sans fin d’une onde sans horizon et sans rivage vous entoure » C. Monet.
Le saviez vous ? Le mot nymphéa, du grec numphé, nymphe, est le terme scientifique qui désigne le nénuphar.
Le musée d’art moderne de la ville de Paris ouvre toutes grandes les portes de la salle aux murs incurvés qui accueillent la gigantesque fresque de Raoul Dufy baptisée la fée électricité. L’atmosphère est « féérique », les bruits résonnent et vous, minuscule personnage central dans cette pièce aux dimensions phénoménales êtes comme happé par la lecture de cette odyssée technique.
Une immersion à la géode dans le parc de la Villette est une forme plus contemporaine certes, mais assez proche dans l’idée de ce que furent jadis les panoramas.
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