UN TERME GENERIQUE Au XVII e siècle, Madras désignait globalement des toiles de coton teintes, unies ou à carreaux, provenant de l’Inde du sud. Le nom dérive de la ville de Madras, principal centre d’exportation des marchandises, un repère à la fois géographique et économique. Cette option généraliste chagrine les puristes. Sachant qu’il existait une infinité de tissages résultant d’un amalgame d’influences, des différences apparurent en fonction du lieu de production, de la qualité des fils, de la solidité des couleurs, de la finesse d’exécution.
Parmi les exceptions à la règle et dans la mesure où ce post s’intéresse au madras, on trouve les célèbres mouchoirs de Palicate dont la renommée dépassa les frontières de l’Inde, les registres des douanes françaises les ayant mentionnés à plusieurs reprises, une origine que l’on retrouve dans le sarong à carreaux indonésien.
DE LA DIVERSITE NAIT LE CHARME Le madras est une cotonnade légère et souple, qualités appréciées dans les régions au climat humide et chaud. Qu’il se nomme carreaux, écossais, check, guinéa check, George check, plaid ou encore tartan; qu’il soit tissé ou imprimé, ce motif demeure la principale caractéristique dans l’imaginaire populaire. Si le quadrillage fut inspiré par la présence de troupes écossaises à l’époque coloniale, la technique de tissage demeure indienne. Qu’est ce qui différencie un tartan écossais d’un madras indien ? la matière première : laine pour l’un, coton pour l’autre; l’armure sergé pour l’un, la toile pour l’autre, les couleurs douces des fougères et la brume de la lande pour l’un, les couleurs vives, fortes qui ont tendance à s’adoucir à l’usage pour l’autre.
Comme les tricots des marins de l’île de Jersey, différents dans chaque village, les artisans laissent leur signature sur chaque pièce, dans l’harmonie et l’intensité des couleurs pour chaque teinturier, dans l’organisation du rythme et du croisement des rayures, voilà pourquoi il n’y a pas deux madras véritables identiques.
LA FILATURE Le coton indien donne des fibres courtes, difficiles à nettoyer parfaitement. Impossible à peigner, elles sont cardées. En conséquence, les fils utilisés pour le tissage des madras sont irréguliers et la surface est ponctuée d’imperfections, de nœuds, de boutons. Parfois, on note la présence de brindilles, d’impuretés ou de poussières. Méfiez-vous d’un madras net, propre, serré, trop parfait si vous avez fait l’acquisition d’un madras artisanal. Le processus débute par le traitement préalable du fil de coton qui est trempé dans une bouillie d’eau puis immergé dans un bain d’huile de sésame et de cendres. Ensuite, il est lavé, essoré et séché au soleil. Ce traitement a pour but de facilité l’absorption de la teinture.
Le rôle de la qualité du fil dans la fabrication des madras est primordial. Au XVIIIe siècle, les britanniques importèrent les balles de coton indien brut pour le filer dans les manufactures britanniques puis renvoyaient à Madras le fil pour le teindre et le tisser sur place. Mais ce fil retord, est rond, lisse et plus sophistiqué que le fil indien irrégulier, rustique et plat. Il y eut donc deux madras : le madras original et le mouchoir madras tissé avec les fils retors, reconnaissable à sa texture plus souple, aux coloris plus éteints et moins cher car la demande était plus faible. Les amateurs des premiers madras mirent au point la technique du « calandage », mélange de gomme arabique et de jaune de chrome pour raviver les couleurs trop pâles de ces mouchoirs.
LA TEINTURE La teinture se fait sur les fils avant le tissage avec des colorants naturels d’origine végétale. Traditionnellement, les fils de chaine sont teints et les fils de trame blancs ou inversement.
Les couleurs principales sont le rouge et, en combinant le jaune (curcuma) et le bleu (indigo), on obtient du vert.
Le dégorgement des couleurs est une caractéristique des véritables madras. Il est provoqué par les tisserands eux-mêmes qui recherchent cet effet d’affadissement des teintes en conservant les fils teints dans une atmosphère humide pour qu’avant même le tissage, les tonalités commencent à s’adoucir.
Avec l’évolution des technologies, les coûteuses teintures naturelles ont été remplacées par leurs homologues chimiques, plus fixatrices, concentrées et faciles à produire appelées color-fast. Méfiez vous d’un madras qui ne déteindrait pas au lavage, si vous pensez avoir fait l’acquisition d’un madras artisanal.
Le saviez vous ? Impossible de parler de la teinture sans mentionner ce savoureux cas d’école. En 1958, l’américain w. Jacobson, spécialisé dans l’import export de tissus, se rendit à Bombay pour s’en procurer. Il eut une opportunité commerciale prometteuse. Le marché fut conclu avec une grande entreprise de textile locale : un lot de 10,000 yards de madras à 1 dollar le yard. Une marchandise aux couleurs vives mais de piètre qualité, un lot destiné au marché africain, mais invendu. Jacobson fut prévenu des précautions que requérait l’entretien de ces madras. Un lavage dans une eau trop chaude entrainerait immédiatement un dégorgement de couleurs. Mais, lors de la vente du madras à la société américaine Brooks Brothers, Jacobson omit de transmettre les indications spécifique de lavage. La fabrication des chemises en madras fut lancée, les articles vendus mais les réclamations des clients mécontents de voir les belles couleurs des chemises disparaître dans l’eau de rinçage, affluèrent. La société fit appel au publicitaire David Ogilvy qui solutionna avec talent le problème en retournant la situation au profit de Brooks Brothers en inventant le slogan Garenteed to bleed “saignement garanti“ faisant d’un inconvenient un argument de vente.
LE TISSAGE
Les fils de chaîne, une fois mis en place, bien tendus, sont enduits d’amidon de riz pour leur donner une rigidité et faciliter le tissage.
Le tissage débute avec des fils de trame encore humides.
Le rétrécissement est inévitable à la fin du tissage. Les fils sont alors libérés de l'apprêt temporaire et reprennent, sous l'action combinée de la chaleur et de l’humidité, leur dimension originelle. La tension étant plus forte sur les fils de chaîne, le retrait sera plus important sur la longueur.
En principe, le rétrécissement n'est pas progressif pour le coton, il l'est plus pour la laine. Il est toujours préférable lorsque l’on travaille le madras de prévoir plus de métrage que nécessaire.
DES RESTRICITONS IMPLICITES
L'artisanat implique des restrictions techniques qui sont les garants d'une certaine authenticité : le métrage unitaire d'une pièce de madras dépasse rarement 20 m. Cette unité de mesure semble avoir été calculée, d’une part, sur la base de fabrications des fils de chaîne tendus entre deux arbres distants au maximum de 66 feet et, d’autre part, sur la possibilité de placer 8 carrés de 0,91 m sans perte. La largeur correspond aux dimensions traditionnelles du métier à tisser. Le prix est fixé pour un carré, il est multiplié par le nombre de carrés demandés.
Techniquement, chaque carré est séparé par un espace vierge, de manière à faciliter le découpage selon la demande du client. Un carré pour un foulard de tête quatre, cinq ou plus pour une robe.
Ce pré découpage fut un stratagème ingénieux qui permit aux anglais d’importer du madras en ballots et non sous la forme de mouchoirs pour minimiser les droits de douanes à leur arrivée à Londres.
Le saviez vous? La combinaison des produits utilisés par les artisans lors de la fabrication fut à l’origine d’une nauséabonde « fragrance « : l’huile de sésame, dissolution partielle de l’amidon de riz et le dernier rinçage après tissage dans l’eau croupie des marécages. En fin de compte, cet inconvénient n’est-il pas une preuve d’authenticité ?
A SUIVRE
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