Deuxième volet : comment mettre en musique la parole des étoffes.
LE BASSON POUR LA BOURRETTE DE SOIE
Les fils ou plutôt des filés de fibres utilisés pour la soie sont constitués d'une multitude de fibres courtes, souvent des déchets laissés après la filature ou bourre, ce qui n'est pas surprenant si l'on tient comte de son nom. Ces fils n'ont pas le lustre des fils de soie issus des cocons du bombyx mori, mais ils possèdent en toutes les qualités intrinsèques Si rien ne distingue visuellement une bourrette de soie d'une grossière cotonnade, en revanche elle se différencie par son toucher savonneux et ce bruit si étrange lorsqu'on la chiffonne, similaire au bruit des pas sur la neige fraîche, un bruit "ouaté", des sons étouffés. En fermant les yeux, j'ai l'impression d'être dans une atmosphère cotonneuse, dans le fog londonien qui enveloppe les bords de la tamise et cette sonorité profonde, ténébreuse, comme étouffée s'accorde si bien avec celle du basson.
UNE HARPE POUR LE SATIN DE SOIE
Toujours élégant, qu'il s'habille de noir ou de rouge, sa somptuosité n'a d'égal que sa prestance. Il coule, il ondoie, il glisse sur la peau comme les gouttes de rosée, dans le calme et la volupté. Jamais de mouvement brusque, il se déplace avec lenteur, il ronronne, sa surface lisse comme un miroir se nourrit des rayons de lumière pour notre plus grand plaisir , parce que c'est son lustre plus que son éclat qui lui donne cette richesse intérieure. Les modes passent, le satin de soie demeure. La sensualité des vibrations des cordes d'une harpe peuvent s'approcher des sonorités soyeuses et délicates de ce merveilleux tissu.
LE TRIANGLE POUR LE PONGE DE SOIE
Un tissu d'origine sino-japonaise, et une étymologie concrète du chinois pun-chi= métier à tisser ou pun chah = tissage home made. Dans sa première version, il s'agissait d'un cousin de nos shantung, puisque ce sont les cocons des vers à soie sauvages qui étaient utilisés. Puis, au fil des siècles, l'apparence du pongé s'est modifiée, en Occident il est devenu ce produit fonctionnel, utilisé presque exclusivement comme doublure de luxe certes, mais doublure quant même ! Son principal concurrent est le Bemberg® un article en cupro, fibre artificielle. S'il est très proche visuellement du pongé, il s'en éloigne au toucher. Je me souviens d'avoir utiliser des pongés de toutes les couleurs pour faire des "draps de sac de couchage", des tuniques d'été, des jupes amples et froncées. Solide malgré sa frêle allure, il est léger, ses couleurs sont revigorantes, toniques. Il y a plus d'un pongé dans le pongé. Si je devais le comparer à un son il serait vif, net, clair, modeste. Cette humble soierie, sait se faire entendre quand elle le désire dans le monde de la mode, comme le triangle, discret généralement placé au dernier rang de l'orchestre qui, au moment opportun, a son instant de gloire.
LE VIOLONCELLE POUR LE TWEED
C'est la laine cardée qui confère au tweed ce caractère rustique, rugueux, costaud, un tantinet ronchon mais d'une gentillesse extrême. Ils sont si attachants les vêtements en tweed que leurs heureux propriétaires ne s'en défont généralement qu'à contre-cœur, après de nombreuses années de bons et très loyaux services, et souvent exténués, usés jusqu'à la corde. C'est l'image idyllique de la rencontre d'une étoffe et d' un gentleman farmer. Cette laine hirsute, poilue, dodue, au caractère bien trempé, au toucher très reconnaissable semble peu incline à bavarder mais en prêtant une oreille bienveillante on peut discerner une infinité de sons. Les bruits des tweeds viennent des sous bois, ils empruntent des chemins forestiers en automne, couverts de feuilles mortes, jonchés de marrons. Lorsqu'un un petit vent frais se lève, les dernières feuilles encore vertes tombent en tourbillonnant sur le sol en silence. Puis arrive l'averse et les gouttes viennent s'écraser sur les fougères qui se courbent. Arrêtez-vous un instant, écoutez, imaginez... C'est le violoncelle qui fait ses gammes
L' OCTOBASSE POUR LE LIN IRLANDAIS
Si personne n'a jamais vu un oranger sur le sol irlandais, nombreux sont les amateurs de belles étoffes à avoir eu entre les mains un lin irlandais. C'est un savant équilibre qui se dégage de ces tissus, caractérisés par une armure sergé. Ce tissage lui confère une souplesse surprenante, très inhabituelle pour un lin. Et puis il y a ce lustre sous-jacent, autre curiosité qui rend les lins irlandais "aimables". Rustiques et sophistiqués à la fois, rares sur le marché français . Appartenant à la belle et noble famille des lins, comme eux, ils ne se déchirent pas aisément. Seule, une bonne paire de ciseaux peut venir à bout de ces étoffes. Si l'on tente d'utiliser la force pour séparer en deux une coupe de lin irlandais, alors il faut s'attendre à un gémissement, à un son grave. Il fallait un instrument unique comme ce lin pour lui donner la réplique, alors j'ai cherché et j'ai trouvé l'octobasse, le plus grand et le plus grave des instruments à cordes, il n'en existe que cinq dans le monde.
A SUIVRE
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