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samedi 8 janvier 2022

HENRIETTE NIGRIN ET MARIANO FORTUNY AU PAYS DES MERVEILLES N°2

 LA TRANSGRESSION DES LIGNES

Ensemble, ils montèrent un atelier d’impressions où ils  expérimentèrent  des techniques d’impression sur velours de soie à la matrice de bois, firent de nombreux essais sur les pigments. De ces travaux naquit le magnifique  châle Knossos. Leur créativité fut alimentée par leur curiosité qui les incitait à  améliorer ce qui existait, se servant  des avancées scientifiques que des techniques nouvelles ainsi la machine à plisser la soie  fut mise au point pour remédier à la faiblesse du plissage à l’ongle de la soie.  


HOMOLOGATION DE BREVETS

Une vingtaine de brevets furent déposés à l’Office National de la Propriété Intellectuelle à Paris, en voici quelque uns :

-1909 : dépôt de brevet pour un «  appareil pour le plissage des tissus de soie ».  

La technique complexe mêlant la chaleur et l’humidité, était extrêmement efficace. Les robes supportaient d’être roulées en boule, pliées, rangées dans des boites sans nuire à leur tenue. Aussitôt dépliées elles reprenaient leur fière allure originale. Un proverbe dit “qui veut voyager loin  ménage sa monture“, un autre devrait  conseiller de ménager sa garde robe. Pour les grandes voyageuses, ce type de vêtement pratique et élégant est proposée dans une version contemporaine. Issey Miyaké et ses modèles Pleats please, une création dans la ligne de Fortuny, reprend ce qui existait en le réinterprétant avec les fibres synthétiques et en utilisant des techniques modernes de plissage.                                                                                                                                                                                         Avril 1909  : dépôt d’un brevet au nom d’Henriette pour « genre d’étoffe plissée ondulée »         Novembre 1909 : dépôt de brevet fut enregistré pour «  Genre de vêtement pour femme dérivé de la robe antique ».  

Les détails du brevet étaient destinés à  protéger la technique autant que les sources d’inspiration :  la koré de Samos, la statue d’un Aurige découverte à Delphes, le fut des colonnes cannelées des temples grecs. Le brevet décrit la conception du vêtement  « …consistant essentiellement en un fourreau ouvert à ses deux extrémités dont les bords sont rapprochés à la partie supérieure de manière une ouverture centrale d'encolure, deux ouvertures latérales pour les bras et deux ouvertures à bords rapprochés par un laçage s'étendant le long des bras avec des coulisses obliques pour permettre d'ajuster le dessous de la manche. »    Il existe des modèles fermés de chaque coté par une ligne verticale de fibules en verre de Murano teinte de la couleur de la robe. Le modèle séduisit un large public, mais seule une fraction infime de la population fut capable de l’acquérir. Les conséquences du succès populaire furent prévisibles et   copies et contrefaçons abondèrent sur le marché. Le grand magasin les Galeries Lafayette copia et commercialisa en 1913 le vêtement Delphos : il fut reconnu coupable après une procédure qui se termina en 1925.   

UNE MODE CONCEPTUELLE

Identique et pourtant unique, telle est la conception de la désormais iconique robe Delphos. Chaque pièce était identique dans sa conception mais chacune était unique par sa coloration, les détails imperceptibles ou plus visibles comme la forme de l’encolure, la longueur des manches ou  la séparation en deux éléments  jupe et  tunique, elle fut déclinée en  taffetas, satin, velours… Chaque robe devient une pièce unique, puisque qu’elle épouse  les formes du corps de la femme qui la porte. 


UNE NOUVEAUTÉ DANS LE COSTUME OCCIDENTAL HAUT DE GAMME

Ce modèle   proposé en  taille unique, est conçue pour s’adapter aux  morphologies les plus diverses. L’audace de ce modèle réside dans sa quasi transparence qui laissait deviner les contours du corps, sinon le corps lui même dans  les modèles en soie légère. Au début du XX c’est une société  cosmopolite qui séjournaient dans la Sérénissime et c’est précisément   depuis  ce  milieu artistique occidental que les modèles  innovants, voir osés essaimèrent à travers  l’Europe. Cette robe  était  généralement  un  vêtements d’intérieur,  seules les fortes personnalités assumèrent le choix de se montrer ainsi vêtue en public transgressant  les règles de la bienséance. Ce sont des artistes, des courtisanes, des aristocrates  clientes attitrées de l’atelier du palais qui furent les meilleures ambassadrices des créations de Fortuny, elles voyageaient à ravers le monde   habillées par le talentueux magicien de Venise

Isadora Duncan sur les scènes du monde entier dansa au milieu d’une superposition de voiles de soie  qui, semblable à une brume légère, tour à tour la couvre et la découvre au gré de ses mouvements. Sarah Bernhardt  portait des tenues Fortuny à la scène comme à la ville et  il n’est de secret pour personne que ces créations de aient inspirés bien des plumes magistrales.  Cette petite révolution  dans les mœurs annonce  les prémisses d’un style nouveau qui se moque des conventions en  libérant le corps de toutes contraintes. En 1968, les soutiens -gorges  ne devinrent  ils pas des objets de revendication? Décidément la mode est un langage et les vêtements ses mots voir quelque fois des armes muettes mais efficaces! 

-1910 un  brevet  est déposé pour « système pour  teinture et impression de tissus ».  La formule magique de ses teintures n’a jamais été dévoilée. Ce que l’on sait, c’est qu’il utilisait des teintures végétales dont les origines devaient être scrupuleusement respectées pour obtenir le résultat escompté. La subtilité des tons, la douceur des harmonies, résultent d’une gamme très personnelle de matières colorantes. Les  pigments venaient d’Afrique comme l’indigo, la cochenille du Mexique offrait un  rouge carmin, la paille de France se transformait en jaune lumineux et le blanc d’œuf pourri de chine, ingrédient indispensable pour la mixture qui servait de fixateur pour l’or et l’agent, secret de ce lustre si particulier. Pour accentuer les effets, la surface des motifs était polie à l’ambre. Avec une remarquable subtilité des tons, la douceur des harmonies, l’originalité des motifs, une recherche pointue de matières colorantes, la couleur  des peintres vénitiens de la Renaissance est réinventée avec audace et talent. « Et  les manches étaient doublées d’une rose cerise qui est si particulièrement vénitien qu’on l’appelle rose Tiepolo » A la recherche du temps perdu M Proust.

UNE PALETTE COULEUR DU TEMPS….                                                                                                            C’est véritablement dans l’art de la teinture et de l’impression que résident les plus grands succès du duo Fortuny. Chaque pièce est unique du fait du  procédé de la teinture progressive qui implique des ajouts de couches de couleurs successives, assez proche de la technique des glacis des peintres de la Renaissance... La   couleur et la lumière sont étroitement associées dans l’élaboration de chaque pièce. La soie, matière de prédilection, se joue de la lumière grâce à la forme triangulaire de la section de ses fils et, pour accentuer la réflexion de la lumière, sa  surface était recouverte d’albumine. La profondeur des teintes et des reflets changeants furent décrits avec le talent de Marcel Proust dans La Prisonnière (1923) : « le miroitement de l’étoffe, d’un bleu profond qui, au fur et à mesure que mon regard s’y avançait, se changeait en or malléable par ces mêmes transmutations qui, devant la gondole qui s’avance, changent en métal flamboyant l’azur du Grand Canal ».  Bien d’autres brevets furent déposés dont le dôme pliable, un dispositif pour faire varier l’intensité des sources d’éclairage — le premier variateur d’intensité — une nouvelle méthode de gravure des plaques photographiques, etc.

 ET LA BELLE ENDORMIE SE REVEILLA POUR LE PLUS GRAND PLAISIR DES  INSATIABLES CURIEUX                             

La technique brevetée, personne, personne non vraiment personne, pas même un japonais pourtant célèbre pour ses plissés, n'avait réussi à faire aussi bien avec des fibres naturelles. La magie ? La souplesse, la fluidité, la sensualité, le tomber.  Cette  extraordinaire performance est restée cachée dans les dossiers de l’ONPI  et ce n’est qu’en 1984, à l’initiative de Lino Landon, qu’une équipe de techniciens réussit à perfectionner la technique de plissage et le système d’impression manuelle sur des velours et des soies. Cette redécouverte permit la réouverture de l’atelier du Palazzo Orfei qui perpétue la production artisanale de  soieries plissées, velours imprimés, d’objets  décoratifs et fonctionnels dans la tradition de leurs créateurs sous la  marque Venetia Studium. Laissez-vous séduire ne serait ce que par curiosité par la beauté de ces imprimés et la « main » de ces textures, le rêve est à portée de regard!

FIN



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