dimanche 25 décembre 2022

N° 2 L'HISTOIRE DE LA BATISTE SUITE

 PAS DE BATISTE SANS MULQUINIERS 

Mulquiniers, étymologiquement de mulquin ou molquin, une toile de lin fine. C’est un artisan habilité à tisser et à vendre des toiles fines composées exclusivement de lin : batiste, linon et toile de lin regroupées sous le terme « toilettes ».


PAS DE VERITABLE BATISTE SANS LIN RAMÉ

Le lin ramé est une première étape incontournable qui donnait à la batiste du cambraisis son caractère si particulier : les rames, sortes de piquets, sont plantées afin de soutenir les tiges du lin pour les empêcher de ployer sous les bourrasques de vent ou les averses de pluie. 

Les opérations suivantes sont classiques : après le rouissage et le teillage vient le peignage qui permet de paralléliser, calibrer et d’étirer les fibres qui se présentent sous forme de rubans assemblés en longues mèches.


PAS DE BATISTE SANS FILEUSES

C’était un travail long, fastidieux, mal rémunéré mais un complément de revenu nécessaire pour les familles de paysans ou d’ouvriers. D’une main, la fileuse fait tourner son fuseau, et de l’autre, elle tord les brins mouillés par sa salive qui viennent s’enrouler sur le fuseau. On pensait que la salive humaine accentuait le lustre et améliorait la solidité. La technique du filage mouillée fut adoptée, simplifiant le travail de l’ouvrière. Cette fois, les mèches sont mises à tremper dans l’eau chaude afin de ramollir la gomme naturelle, d'éliminer les pectines naturelles, d’assouplir les fibres et de favoriser la régularité du fil.

Le secret des secrets : les opérations de filature et de tissage sont expressément réalisées dans des caves sombres et humides afin de conserver à l’ouvrage un maximum de souplesse. On dit que, de ces tissus, émanait une sorte de magie, mais pour moi, au premier regard, c’est avant tout le dur labeur des ouvriers combiné à leur maestria qui se dégage de tels ouvrages.

Les batistes obtenus à partir de ce lin ramé étaient des produits de luxe réservés souvent aux petites pièces comme les mouchoirs ou des vêtements de dessous, les surplis des prêtres, les robes de baptême. 

Le saviez vous ? Ces travaux étaient réalisés en hiver dans les villages et à  la campagne, les travaux des champs étant en veille, les mains des ouvriers n’étaient pas abimées ce qui rendait possible les manipulations délicatesDans les villes, les mulquiniers et les fileuses tissaient tout au long de l’année.


UN FIL SOUS HAUTE PROTECTION

Au Moyen Age, les muquiniers du cambraisis luttèrent pour obtenir des droits spécifiques. Des lois furent édictées interdisant l’exportation hors de cambrai des fils de lin les plus fins afin d’éviter que cette matière première ne tombe entre les mains d’artisans étrangers qui les utiliseraient pour tisser des batistes. Au XVIe siècle, on note dans les archives que la fabrication de la batiste est soumise à un règlement très strict : la dimension des pièces était vérifiées avant le blanchissage par des échevins. Par ordonnance royale, une pièce ne pouvait pas dépasser 1,10 m en largeur et 15 m en longueur. Un sceau est apposé à la fin de chaque rouleau, signature de l’artisan, et gage de qualité.


LA MAIN ET LA MACHINE, UNE LUTTE INEGALE

La production de batiste de Valenciennes servit de support pour la fabrication des dentelles dites de valenciennes caractérisée par un réseau infiniment délicat qui donnait une des dentelles les plus fines, aux motifs célébrés pour leur transparence. La production des fils de lin fins cessa petit à petit dans la région, faute d’ouvrières qualifiées, entraînant dans son sillage la disparition des merveilleuses valenciennes en lin. Demeurent cependant les valenciennes en coton ; mince consolation pour les amateurs.

Dans les archives de la ville de Cambrai, j’ai trouvé des précisions sur la finesse des fils de loin utilisés jadis pour tisser la batiste. Ce sont des chiffres que l'on aurait du mal à  obtenir avec une machine, si perfectionnée soit-elle. En effet, avec 500 g de fil on obtenait 250 km de fil soit 500 m avec 1 g. Ceci mériterait de figurer dans le livre des records.


UNE ARCHITECTURE SUR MESURE

Le métier de mulquinier, un souvenir et quelques photos en sépia, contre toute attente, a marqué son passage dans les détails de l’architecture du cambraisis. Les maisons des mulquiniers étaient dotées d’une cave où était installé le métier à tisser et, pour laisser entrer un peu de lumière dans ce local sombre et froid, on note au bas des pignons la présence d’un soupirail, seul puit de lumière et d’aération.
De bas en haut : si les mulquiniers tissaient dans les caves, les canuts lyonnais tissaient en haut, dans leurs greniers tant il fallait de hauteur et de lumière pour installer et travailler sur les métiers Jacquard 


LA BATISTE PAS A PAS

C'est une toile de lin ou de coton, légère, souple, majoritairement blanche et dotée d’un lustre raffiné. La batiste est depuis toujours tissée avec des fils haut de gamme, qu'il s'agisse de lin ou de coton, de tissage artisanal  ou industrile, manuel ou mécanique. Son aspect peut être modifié par différents apprêts de finition pour répondre aux différents usages. Le mercerisage ou le calandrage qui permet d’écraser le grain, de lisser la surface et d’augmenter la brillance. Aujourd’hui, des cotons de qualité comme le coton Jumel d’Egypte ou le "Sea island" américain longues fibres,  remplacent le lin.


LA COMPLEXITE DE LA SIMPLICITE DU BLANC

Bien que la véritable batiste ne soit plus fabriquée, il existe une définition simple et éloquente : toile de lin ou de coton fine, serrée et blanche. La qualité ne supporte pas de fioritures. Jadis, les tissus blancs étaient synonyme de luxe, la lessive étant un processus long et fastidieux elle était annuelle ou bi-annuelle. Obtenir un tissu blanc immaculé sans les outils modernes nécessitait une succession d’opérations : après le  tissage, la toile crue (ou écrue), est foulée ou battue à l'aide de pilons dans un bassin rempli d'eau, puis étendue au soleil et arrosée de lessive bouillante afin de la blanchir puis, pour les perfectionnistes, un petit coup de maillet sur toute la surface du tissu encore humide permettait de lisser plus profondément sa surface. L’ultime finition relève du pliage sous presse, opération qui gomme si besoin était les imperfections en surface.

Il est une constante à travers les siècles et les pays : la batiste fut et demeure un tissu blanc et uni, rarement teint ou imprimé (exception de la batiste fleurie de Liberty). Aujourd’hui c’est un support pour des broderies de luxe (Saint Gall).


DES USAGES DE LA BATISTE

Au début, cette étoffe très fine servit aux voiles de tête et aux chemises. Les religieuses utilisaient une batiste amidonnée pour couvrir leur tête. Empesée avec de la farine, elle était utilisée pour les coiffes. Les hommes d'Eglise ne furent pas en reste : rochets et surplis étaient coupés dans de belles batistes. 

Au XVIe siècle, le mouchoir est un élément d’élégance. « Recevoir les excréments du nez avec un mouchoir en se retournant un petit peu des gens d’honneur est chose honnête ». Erasme. Au XVIIe siècle, c’est une des étoffes les plus demandées par les cours royales européennes. Les fashion addicts se font entendre : elles s’emparent de la batiste et lancent une mode plus raffinée, se préoccupant des soins du corps en développent l’usage de « faire la toilette ». 

Le saviez vous? Anne d'Autriche raffolait,  dit-on, de la batiste de Cambrai pour ses chemises légères et ses draps.

Les tsars ne furent pas en reste puisque dans les archives du village de Quiévy  au nord de la France, il est notifié que les mulquiniers furent, jusqu’au début du XXe siècle, les fournisseurs officiels de batiste pour la cour impériale de Russie.

Au XVIIIe siècle, on en fit grande consommation pour les chemises, mouchoirs brodés, manchettes ou robes de baptêmes. La batiste servit et sert encore de support pour des broderies, notamment la broderie anglaise et les broderies de Saint Gall.

Beau Brumel, chef de file des élégants au XIX e siècle, en comptait plus de 50 douzaines de mouchoirs. Le mouchoir a son langage : agiter son mouchoir  sur le quai d’une gare, accrocher son mouchoir à la fenêtre en guise de signal, faire tomber son mouchoir à la mode romantique, faire un nœud à son mouchoir pour y penser.

A la fin du XIXe siècle, c’est encore un article courant « il y avait de tout, en effet. Des corsets de soie, des bas de soie, des chemises de soie et de fine batiste, des amours de pantalons » Mirbeau in le journal d’une femme de chambre 1900.

Aujourd’hui, la batiste est redevenue un produit de luxe avec des  mouchoirs brodés, du linge de corps, des articles de literie (comptez 130 fils/cm2 pour un bon produit).

Si d’aventure vous aimez chiner, vous trouverez certainement dans une brocante quelques pièces anciennes qui, malgré les ans, ne se départissent pas d’un certain prestige. Si, par contre, la batiste de coton vous intéresse, votre recherche sera plus aisée sur le blog d’etoffe.com.

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