dimanche 25 décembre 2022

N° 2 L'HISTOIRE DE LA BATISTE SUITE

 PAS DE BATISTE SANS MULQUINIERS 

Mulquiniers, étymologiquement de mulquin ou molquin, une toile de lin fine. C’est un artisan habilité à tisser et à vendre des toiles fines composées exclusivement de lin : batiste, linon et toile de lin regroupées sous le terme « toilettes ».


PAS DE VERITABLE BATISTE SANS LIN RAMÉ

Le lin ramé est une première étape incontournable qui donnait à la batiste du cambraisis son caractère si particulier : les rames, sortes de piquets, sont plantées afin de soutenir les tiges du lin pour les empêcher de ployer sous les bourrasques de vent ou les averses de pluie. 

Les opérations suivantes sont classiques : après le rouissage et le teillage vient le peignage qui permet de paralléliser, calibrer et d’étirer les fibres qui se présentent sous forme de rubans assemblés en longues mèches.


PAS DE BATISTE SANS FILEUSES

C’était un travail long, fastidieux, mal rémunéré mais un complément de revenu nécessaire pour les familles de paysans ou d’ouvriers. D’une main, la fileuse fait tourner son fuseau, et de l’autre, elle tord les brins mouillés par sa salive qui viennent s’enrouler sur le fuseau. On pensait que la salive humaine accentuait le lustre et améliorait la solidité. La technique du filage mouillée fut adoptée, simplifiant le travail de l’ouvrière. Cette fois, les mèches sont mises à tremper dans l’eau chaude afin de ramollir la gomme naturelle, d'éliminer les pectines naturelles, d’assouplir les fibres et de favoriser la régularité du fil.

Le secret des secrets : les opérations de filature et de tissage sont expressément réalisées dans des caves sombres et humides afin de conserver à l’ouvrage un maximum de souplesse. On dit que, de ces tissus, émanait une sorte de magie, mais pour moi, au premier regard, c’est avant tout le dur labeur des ouvriers combiné à leur maestria qui se dégage de tels ouvrages.

Les batistes obtenus à partir de ce lin ramé étaient des produits de luxe réservés souvent aux petites pièces comme les mouchoirs ou des vêtements de dessous, les surplis des prêtres, les robes de baptême. 

Le saviez vous ? Ces travaux étaient réalisés en hiver dans les villages et à  la campagne, les travaux des champs étant en veille, les mains des ouvriers n’étaient pas abimées ce qui rendait possible les manipulations délicatesDans les villes, les mulquiniers et les fileuses tissaient tout au long de l’année.


UN FIL SOUS HAUTE PROTECTION

Au Moyen Age, les muquiniers du cambraisis luttèrent pour obtenir des droits spécifiques. Des lois furent édictées interdisant l’exportation hors de cambrai des fils de lin les plus fins afin d’éviter que cette matière première ne tombe entre les mains d’artisans étrangers qui les utiliseraient pour tisser des batistes. Au XVIe siècle, on note dans les archives que la fabrication de la batiste est soumise à un règlement très strict : la dimension des pièces était vérifiées avant le blanchissage par des échevins. Par ordonnance royale, une pièce ne pouvait pas dépasser 1,10 m en largeur et 15 m en longueur. Un sceau est apposé à la fin de chaque rouleau, signature de l’artisan, et gage de qualité.


LA MAIN ET LA MACHINE, UNE LUTTE INEGALE

La production de batiste de Valenciennes servit de support pour la fabrication des dentelles dites de valenciennes caractérisée par un réseau infiniment délicat qui donnait une des dentelles les plus fines, aux motifs célébrés pour leur transparence. La production des fils de lin fins cessa petit à petit dans la région, faute d’ouvrières qualifiées, entraînant dans son sillage la disparition des merveilleuses valenciennes en lin. Demeurent cependant les valenciennes en coton ; mince consolation pour les amateurs.

Dans les archives de la ville de Cambrai, j’ai trouvé des précisions sur la finesse des fils de loin utilisés jadis pour tisser la batiste. Ce sont des chiffres que l'on aurait du mal à  obtenir avec une machine, si perfectionnée soit-elle. En effet, avec 500 g de fil on obtenait 250 km de fil soit 500 m avec 1 g. Ceci mériterait de figurer dans le livre des records.


UNE ARCHITECTURE SUR MESURE

Le métier de mulquinier, un souvenir et quelques photos en sépia, contre toute attente, a marqué son passage dans les détails de l’architecture du cambraisis. Les maisons des mulquiniers étaient dotées d’une cave où était installé le métier à tisser et, pour laisser entrer un peu de lumière dans ce local sombre et froid, on note au bas des pignons la présence d’un soupirail, seul puit de lumière et d’aération.
De bas en haut : si les mulquiniers tissaient dans les caves, les canuts lyonnais tissaient en haut, dans leurs greniers tant il fallait de hauteur et de lumière pour installer et travailler sur les métiers Jacquard 


LA BATISTE PAS A PAS

C'est une toile de lin ou de coton, légère, souple, majoritairement blanche et dotée d’un lustre raffiné. La batiste est depuis toujours tissée avec des fils haut de gamme, qu'il s'agisse de lin ou de coton, de tissage artisanal  ou industrile, manuel ou mécanique. Son aspect peut être modifié par différents apprêts de finition pour répondre aux différents usages. Le mercerisage ou le calandrage qui permet d’écraser le grain, de lisser la surface et d’augmenter la brillance. Aujourd’hui, des cotons de qualité comme le coton Jumel d’Egypte ou le "Sea island" américain longues fibres,  remplacent le lin.


LA COMPLEXITE DE LA SIMPLICITE DU BLANC

Bien que la véritable batiste ne soit plus fabriquée, il existe une définition simple et éloquente : toile de lin ou de coton fine, serrée et blanche. La qualité ne supporte pas de fioritures. Jadis, les tissus blancs étaient synonyme de luxe, la lessive étant un processus long et fastidieux elle était annuelle ou bi-annuelle. Obtenir un tissu blanc immaculé sans les outils modernes nécessitait une succession d’opérations : après le  tissage, la toile crue (ou écrue), est foulée ou battue à l'aide de pilons dans un bassin rempli d'eau, puis étendue au soleil et arrosée de lessive bouillante afin de la blanchir puis, pour les perfectionnistes, un petit coup de maillet sur toute la surface du tissu encore humide permettait de lisser plus profondément sa surface. L’ultime finition relève du pliage sous presse, opération qui gomme si besoin était les imperfections en surface.

Il est une constante à travers les siècles et les pays : la batiste fut et demeure un tissu blanc et uni, rarement teint ou imprimé (exception de la batiste fleurie de Liberty). Aujourd’hui c’est un support pour des broderies de luxe (Saint Gall).


DES USAGES DE LA BATISTE

Au début, cette étoffe très fine servit aux voiles de tête et aux chemises. Les religieuses utilisaient une batiste amidonnée pour couvrir leur tête. Empesée avec de la farine, elle était utilisée pour les coiffes. Les hommes d'Eglise ne furent pas en reste : rochets et surplis étaient coupés dans de belles batistes. 

Au XVIe siècle, le mouchoir est un élément d’élégance. « Recevoir les excréments du nez avec un mouchoir en se retournant un petit peu des gens d’honneur est chose honnête ». Erasme. Au XVIIe siècle, c’est une des étoffes les plus demandées par les cours royales européennes. Les fashion addicts se font entendre : elles s’emparent de la batiste et lancent une mode plus raffinée, se préoccupant des soins du corps en développent l’usage de « faire la toilette ». 

Le saviez vous? Anne d'Autriche raffolait,  dit-on, de la batiste de Cambrai pour ses chemises légères et ses draps.

Les tsars ne furent pas en reste puisque dans les archives du village de Quiévy  au nord de la France, il est notifié que les mulquiniers furent, jusqu’au début du XXe siècle, les fournisseurs officiels de batiste pour la cour impériale de Russie.

Au XVIIIe siècle, on en fit grande consommation pour les chemises, mouchoirs brodés, manchettes ou robes de baptêmes. La batiste servit et sert encore de support pour des broderies, notamment la broderie anglaise et les broderies de Saint Gall.

Beau Brumel, chef de file des élégants au XIX e siècle, en comptait plus de 50 douzaines de mouchoirs. Le mouchoir a son langage : agiter son mouchoir  sur le quai d’une gare, accrocher son mouchoir à la fenêtre en guise de signal, faire tomber son mouchoir à la mode romantique, faire un nœud à son mouchoir pour y penser.

A la fin du XIXe siècle, c’est encore un article courant « il y avait de tout, en effet. Des corsets de soie, des bas de soie, des chemises de soie et de fine batiste, des amours de pantalons » Mirbeau in le journal d’une femme de chambre 1900.

Aujourd’hui, la batiste est redevenue un produit de luxe avec des  mouchoirs brodés, du linge de corps, des articles de literie (comptez 130 fils/cm2 pour un bon produit).

Si d’aventure vous aimez chiner, vous trouverez certainement dans une brocante quelques pièces anciennes qui, malgré les ans, ne se départissent pas d’un certain prestige. Si, par contre, la batiste de coton vous intéresse, votre recherche sera plus aisée sur le blog d’etoffe.com.

UNE CERTAINE HISTOIRE DE LA BATISTE


ETYMOLOGIES PLUS OU MOINS OFFICIELLES

Ce que dit la légende : au XIIIe siècle, un tisserand de Cambrai originaire de Castaing sur Escaut, réussit à fabriquer une toile de lin blanche, fine, souple, solide. Ainsi débuta la belle et longue histoire de la batiste, une étoffe surdouée.

La statue de cet artisan élevée à Cambrai semble être l’unique preuve tangible de l’existence de ce Baptiste. 

Ce que disent les encyclopédies : en 1401, on parle de "soye batiche", en 1503 de toile batisse, en 1590 de toile baptiste, ce qui laisse supposer que le mot batiste, déformation du flamand « batiche » (battre), était le terme utilisé dans le patois picard dès le XIII e siècle pour décrire le mouvement de va et vient du battant des métiers à tisser actionnés par le tisserand.   

Longtemps, Valenciennes et Cambrai ont revendiqué la paternité de la batiste. La virtuosité des artisans de la région et la qualité de cette exquise toile de lin mirent un point final à cette rivalité, bien qu’à une époque, cette toile fut commercialisée sous l’appellation Cambrai et non Valenciennes. Si le label européen A.O.C. avait été inventé à cette époque, il aurait été attribué à la batiste de Cambrai sans l’ombre d’un doute « inst it ? ».

Les anglais faisant bande à part « as usual » emploient de termes spécifiques pour désigner la batiste : cambric dérivé de Cambrai ou encore lawn dérivé de Laon, ville dont les manufactures de fines toiles de lin, jadis importantes, exportaient leur production outre Manche. 

Le saviez vous ? La tana lawn® est la batiste de coton de Liberty of London  utilisée pour les chemises à fleurs au toucher de soie, à la fluidité de l’eau et à la légèreté d’une plume. Tana est le nom d’un lac éthiopien à proximité duquel était cultivé un magnifique coton longues fibres que les anglais utilisèrent au XIXe siècle.

   

LA BATISTE UN TISSU « SUCCESSFUL »

Au XVIIIe siècle, il n’y avait pas une mais des batistes. Les qualités variaient en fonction du terroir et de l’usage : la batiste claire tissée avec des fils très fins et espacés laisse passer la lumière. Les batistes hollandées tissées avec des fils fins et plus nombreux étaient un plus grand nombre de fils au cm2 plus serrées, se rapprochant de la toile de Hollande ; les batistes fortes étaient opaques et plus lourdes. 

Le saviez vous ? Les artisans de Saint Quentin proposaient une fine toile d’ortie, sans ortie ni ramie, mais avec du lin, caractérisée par la couleur écrue commercialisée sous l’appellation «de toile d’ortie ».


TOUS POUR UN

Entre le XVII et le XIXe siècle, la production de batiste se développa dans un grand nombre de pays européens. S’engageât alors une réelle concurrence entre suisses, belges, anglais, écossais, irlandais, hollandais et français. Des perfectionnements techniques naquirent de cette course effrénée à la fabrication de fines toiles de lin, visibles dans les batistes de qualités exceptionnelles, sélectionnées pour l’exposition universelle de Londres en 1851. 

Le Cambraisis : lieu d’origine de la batiste. Cette production textile fut une source de revense importante pour toute la région en complément des ressources tirées de l’agriculture et de l’élevage. 

La Suisse : si le lin n’est plus la matière première des batistes suisses, il se fabrique encore en 2022 une batiste de coton fort belle, plus fine que celle qui pourraient être tissées aujourd'hui avec le lin ; elle sert de base pour des broderies comme on les fait encore à Saint Gall. 

En Angleterre : le commerce avec l’Angleterre, bien que difficile, favorisa les mulquiniers du cambraisis. Les clients, fin connaisseurs, exigeaient la véritable batiste de Cambrai et non une imitation locale qui pourtant supportait la comparaison, dans la mesure où certains des tisserands étaient originaires du cambraisis. 

Le saviez vous ? Au XIe siècle des  tisserands normands   qui, avaient accompagné Guillaume le Conquérant en Angleterre, s’installèrent définitivement sur le sol de la «blanche Albion». La «tapisserie» de la reine Mathilde qui est en réalité une broderie en laine sur fond de lin, illustre la conquête de l’Angleterre par le duc de Normandie

En Ecosse, une batiste en lin puis en  fil d’écosse (coton mercerisé) forte, serrée et opaque.  

Le saviez vous ? C’est un anglais J.Mercer qui en 1844 mit au point une technique, pour solidifier le fil de coton et faciliter la teinture, un procédé à base de soude caustique qui porte son nom : la mercerisation. Ce n’est qu’en 1890 que le rétrécissement principal défaut du mercerisage disparut, grâce à  un chimiste anglais lui aussi, A.Lowe qui pensait qu’en étirant les fils durant tout le traitement le problème serait résolu et ce fut une réussite. Mais c’est en Ecosse, à Paisley, que la mercerisation fut appliquée industriellement sur ce qui devient alors le fil d’Ecosse : un fil de qualité utilisé pour le tissage de la batiste d’Ecosse.

En Irlande, le fil de lin n’avait pas la finesse du fil de cambrai. C’est pourquoi la batiste de Cambrai remportait tous les suffrages auprès des irlandais nantis. 

Aujourd’hui, le lin d’Irlande se distingue des autres par son lustre, son tissage avec deux fils de couleurs différentes, l'un en chaine et l'autre en trame, son armure sergé, un mélange rare laine/lin.                                         

Le saviez vous ? Sous le règne du pharaon Ramses II, l’Egypte produit du lin de grande qualité, mais pas ou peu exporté. A cette époque, de nombreux tisserands quittèrent l’Egypte à cause des pénibles conditions de travail. pour rejoindre Tyr, grande cité phénicienne qui possédait des comptoirs commerciaux dans de nombreux ports et notamment en Irlande, en Espagne et au Portugal. Les phéniciens introduisent le lin en Europe entre le XII et VIIIe siècle, et des artisans égyptiens accompagnèrent les phéniciens dans leurs périples de port en port. C’est ainsi que quelques-uns atteignirent  l’Irlande, avec leur savoir faire et des graines de lin qui prendront racines sur ce terroir. Depuis l’Antiquité, le lin est indissociable de l’Irlande. 

  

En France, à la fin du XVIe siècle, la batiste était un produit recherché mais d’importation. Comme pour les indiennes, les importations de batiste étaient limitées afin d’éviter l’évasion des devises. Les mulquiniers se développèrent dans des villes frontalières au nord du royaume, permettant un production locale non soumise aux droits de douane. 

Le saviez vous ?  Avant que le cambraisis ne soit rattaché au royaume de France en 1678, la batiste de Cambrai et de Valenciennes était exportée dans toute l’Europe, y compris en France qui devait, par conséquent, s’acquitter des droits de douane.


A SUIVRE

samedi 3 décembre 2022

LE MADRAS DIT " RMHK "N°3

 DES LABELS POUR DISTINGUER L’ORIGINAL DE LA COPIE                     

Pour obtenir le label RMHK pour Real Madras Hand Kerchief (véritable mouchoir de Madras), celui-ci doit répondre à des critères précis. La signification de ces quatre lettres est aujourd’hui obsolète.                         - Real : les madras indiens, souvent fabriqués industriellement, imprimés et non tissés, sans la moindre trace de coton, mais en fibres synthétiques.   - Madras n’est que le nom de la ville d’où partent les marchandises souvent fabriquées ailleurs.                                                                   - HandKerchief : mouchoir. Un mot dont le sens n’est pas conforme à l’usage.  Les habitudes ont la vie dure. Aux Indes, RMHK demeure la dénomination commerciale du madras en général, artisanal ou industriel, et c’est au client de faire le tri. Le respect du label de la US Federal Trade Commission est plus restrictif : le terme de madras ne peut être utilisé sur une étiquette ou de manière commerciale que s’il est fabriqué artisanalement dans la région de Madras par des artisans originaires de l’Inde du Sud.                           

Le saviez vous ? Les citoyens américains sont friands du madras depuis son introduction dans le pays au XVIIIe siècle par Elihu Yale, second gouverneur de la colonie de Madras. En 1718, le Collegiate School of Connecticut était à la recherche de financement pour agrandir ses locaux. Le directeur fit appel à Yale, membre de la Royal Society, qui répondit en envoyant une caisse de tissus en provenance de madras. Ce lot vendu, rapporta un pactole et, en remerciement, l’école fut rebaptisée Yale College qui deviendra la Yale University. Le madras eut ses heures de gloire dans les années 50-60 avec la tendance “preppy“ lancée par les étudiants de Yale qui a donné naissance à plus de 150 000 nouvelles combinaisons de carreaux.

DES EPISODES COMMERCIAUX PEU GLORIEUX PEU OU PROU RÉVÉLÉS                                                                                                Un passage sombre de l’épopée commerciale du madras demeure sa position dominante dans le commerce triangulaire, ou traite négrière, initiée au XVIe siècle par les colons portugais et espagnols, puis développée par les hollandais, les anglais et les français. Les navires des grandes compagnies occidentales quittaient les ports indiens, les soutes remplies de marchandises plus ou moins précieuses. Sur le retour en Europe, les escales le long des côtes de l’Afrique de l’ouest permettaient d‘échanger avec les chefs de tribus des produits comme les carrés de madras contre des captifs razziés dans les royaumes voisins.                   

Le saviez vous ? Dès le XVI siècle, les portugais introduisirent le madras chez les Kalabari, une ethnie établie dans les îles du delta du Niger. Fascinée par ce tissu coloré, la population en fit un élément indissociable de leur culture, s’appropriant le madras en le baptisant du nom indigène inji signifiant “fabriqué aux indes“.  L’inji est, depuis le XVI e siècle, un signe distinctif du costume et des rituels Kalahari, accompagnant ses membres  dans la vie quotidienne jusque dans l’au-delà, soit du “ventre à la tombe“. En France, le lin nous accompagne du lange au linceul. Au XIXe siècle, après l’abolition de l’esclavage, les kalabari ont continué à commercer avec les britanniques, échangeant le madras contre de l’huile de palme, un lubrifiant nécessaire au fonctionnement des machines qui, avec le développement de l’industrie textile en Grande Bretagne, remplacèrent les artisans pour la filature et le tissage.

MADRAS DES CHAMPS ET CACHEMIRE DES VILLES                                 Aux Indes, au XVIIe siècle, « les mouchoirs à carreaux « étaient des articles destinés aux classes populaires; un tissu méprisé par les castes supérieures alors qu’ils étaient considérés comme un produit de luxe du fait de leur rareté dans les pays importateurs. Au XIXe siècle en Europe, la fabrication de mouchoirs madras en quantité permit de démocratiser le produit, séduisant les gens de la campagne alors que l’on note une attirance des citadins fortunés pour un nouveau produit d’importation : le luxueux cachemire.

LA LEGENDE REVISITEE  

C’est, dit-on généralement, peu après l’abolition de l’esclavage en 1848, que le  madras arriva aux Antilles. Les premiers indiens tamouls n’arrivèrent aux Antilles, pour pallier la pénurie de main d’œuvre dans les plantations de canne à sucre, qu’en 1653. Alors comment expliquer :

- que la célèbre chanson “adieu foulard, adieu madras “ ait été écrite en 1769 ? - que Napoléon ait pris l'habitude de se couvrir la tête d’un madras afin de se protéger de l'humidité et de la chaleur lors de son séjour à Sainte-Hélène ?                                                  

Très  récemment, fut vendue aux enchères un mouchoir de madras rouge et blanc ayant appartenu à Napoléon.

De toute évidence, le madras arriva aux Antilles, transporté par les navires marchands battant pavillon français, britanniques, hollandais portugais qui sillonnaient les mers, regorgeaient de marchandises exotiques dès le XVIIe siècle. 

Au XXe siècle le madras fut un article adopté et revisité par la génération des "baby boomer" . Outre les  teenagers et autres hippies qui portaient ces carrés colorés sur la tête, autour du cou, ou en bracelet,  il fut mis en musique par Michel Sardou en  1975 dans madras: .. " porter du madras et des cheveux longs...."


LE MADRAS AUX ANTILLES FRANÇAISES :  JE T’AIME MOI NON PLUS  

La signification de ce carré de 36 pouces est ambiguë : hier, code vestimentaire imposé aux femmes de couleurs réduites en esclavage ; aujourd’hui, symbole de l’identité créole.  

Et nous voilà arrivés à la fin de ce post, maintenant c’est à vous de trancher : tradition ou folklore ?

FIN

LE MADRAS UN TERME GENERIQUE N°2

 UN TERME GENERIQUE                                                                           Au XVII e siècle, Madras désignait globalement des toiles de coton teintes, unies ou à carreaux, provenant de l’Inde du sud. Le nom dérive de la ville de Madras,  principal centre d’exportation des marchandises, un repère à la fois géographique et économique. Cette option généraliste chagrine les puristes. Sachant qu’il existait une infinité de tissages résultant d’un amalgame d’influences, des différences apparurent en fonction du lieu de production, de la qualité des fils, de  la solidité des couleurs, de la finesse d’exécution.                                             

Parmi les exceptions à la règle et dans la mesure où ce post s’intéresse au madras,  on trouve les célèbres mouchoirs de Palicate dont la renommée dépassa les frontières de l’Inde, les registres des douanes françaises les ayant mentionnés à plusieurs reprises, une origine que l’on retrouve dans le sarong à carreaux indonésien. 

DE LA DIVERSITE NAIT LE CHARME                                                         Le madras est une cotonnade légère et souple, qualités appréciées dans les régions au climat humide et chaud. Qu’il se nomme carreaux, écossais, check, guinéa check, George check, plaid ou encore tartan; qu’il soit tissé ou imprimé, ce motif demeure la principale caractéristique dans l’imaginaire populaire. Si le quadrillage fut inspiré par la présence de troupes écossaises à l’époque coloniale,  la technique de tissage demeure indienne. Qu’est ce qui différencie un tartan écossais d’un madras indien ? la matière première : laine pour l’un, coton pour l’autre; l’armure sergé pour l’un, la toile pour l’autre, les couleurs douces des fougères et la brume de la lande pour l’un, les couleurs vives, fortes qui ont  tendance à s’adoucir à l’usage pour l’autre.

 Comme les tricots des marins de l’île de Jersey, différents dans chaque village, les artisans laissent leur signature sur chaque pièce, dans l’harmonie et l’intensité des couleurs pour chaque teinturier, dans l’organisation du rythme et du croisement des rayures, voilà pourquoi il n’y a pas deux madras véritables identiques.                                                                                                             

LA FILATURE                                                                                             Le coton indien donne des fibres courtes, difficiles à nettoyer parfaitement.  Impossible à peigner, elles sont cardées. En conséquence, les fils utilisés pour le tissage des madras sont irréguliers et la surface est ponctuée d’imperfections, de nœuds, de boutons. Parfois, on note la présence de brindilles, d’impuretés ou de poussières. Méfiez-vous d’un madras net, propre, serré, trop parfait si vous avez fait l’acquisition d’un madras artisanal.                                                                       Le processus débute par le traitement préalable du fil de coton qui est trempé dans une bouillie d’eau puis immergé dans un bain d’huile de sésame et de cendres. Ensuite, il est lavé, essoré et séché au soleil. Ce traitement a pour but de facilité l’absorption de la teinture. 

Le rôle de la qualité du fil dans la fabrication des madras est primordial. Au XVIIIe siècle, les britanniques importèrent les balles de coton indien brut pour le filer dans les manufactures britanniques puis renvoyaient à Madras le fil pour le teindre et le tisser sur place. Mais ce fil retord, est rond, lisse et plus sophistiqué  que le fil indien irrégulier, rustique et plat. Il y eut donc deux madras : le madras original et le mouchoir madras tissé avec les fils retors, reconnaissable à sa texture plus souple, aux coloris plus éteints et moins cher car la demande était plus faible. Les amateurs des  premiers madras mirent au point la technique du « calandage », mélange de gomme arabique et de jaune de chrome pour raviver les couleurs trop pâles de ces mouchoirs. 

LA TEINTURE                                                                                           La teinture se fait sur les fils avant le tissage avec des colorants naturels d’origine végétale. Traditionnellement, les fils de chaine sont teints et les fils de trame blancs ou inversement. 

Les couleurs principales sont le rouge et, en combinant le jaune (curcuma) et le bleu (indigo), on obtient du vert. 

Le dégorgement des couleurs est une caractéristique des véritables madras. Il est  provoqué par les tisserands eux-mêmes qui recherchent cet effet d’affadissement des teintes en conservant les fils teints dans une atmosphère humide pour qu’avant même le tissage, les tonalités commencent à s’adoucir. 

Avec l’évolution des technologies, les coûteuses teintures naturelles ont été remplacées par leurs homologues chimiques, plus fixatrices, concentrées et faciles à produire appelées color-fast. Méfiez vous d’un madras qui ne déteindrait pas au lavage, si vous pensez avoir fait l’acquisition d’un madras artisanal.

Le saviez vous ? Impossible de parler de la teinture sans mentionner ce savoureux cas d’école. En 1958, l’américain w. Jacobson, spécialisé dans l’import export de tissus, se rendit à Bombay pour s’en procurer. Il eut une opportunité commerciale prometteuse. Le marché fut conclu avec une grande entreprise de textile locale : un lot de 10,000 yards de madras à 1 dollar le yard. Une marchandise aux couleurs vives mais de piètre qualité, un lot destiné au marché africain, mais invendu. Jacobson fut prévenu des précautions que requérait l’entretien de ces madras. Un lavage dans une eau trop chaude entrainerait immédiatement un dégorgement de couleurs. Mais, lors de la vente du madras à la société américaine Brooks Brothers, Jacobson omit de transmettre les indications spécifique de lavage. La fabrication des chemises en madras fut lancée, les articles vendus mais les réclamations des clients mécontents de voir les belles couleurs des chemises disparaître dans l’eau de rinçage, affluèrent. La société fit appel au publicitaire David Ogilvy qui solutionna avec talent le problème en retournant la situation au profit de Brooks Brothers en inventant le slogan Garenteed to bleed “saignement garanti“  faisant d’un inconvenient un argument de vente.


LE TISSAGE

Les fils de chaîne, une fois mis en place, bien tendus, sont enduits d’amidon de riz pour leur donner une rigidité et faciliter le tissage. 

Le tissage débute avec des fils de trame encore humides. 

Le rétrécissement est inévitable à la fin du tissage. Les fils sont alors libérés de l'apprêt temporaire et reprennent, sous l'action combinée de la chaleur et de l’humidité, leur dimension originelle. La tension étant plus forte sur les fils de chaîne, le retrait sera plus important sur la longueur.

En principe, le  rétrécissement n'est pas progressif pour le coton, il l'est plus pour la laine. Il est toujours préférable lorsque l’on travaille le madras de prévoir plus de métrage que nécessaire.


DES RESTRICITONS IMPLICITES

L'artisanat implique des restrictions techniques qui sont les garants d'une certaine authenticité : le métrage unitaire d'une pièce de madras dépasse rarement 20 m. Cette unité de mesure semble avoir été calculée, d’une part, sur la base de fabrications des fils de chaîne tendus entre deux arbres distants au maximum de 66 feet et, d’autre part, sur la possibilité de placer 8 carrés de 0,91 m sans perte. La largeur correspond aux dimensions traditionnelles du métier à tisser. Le prix est fixé pour un carré, il est multiplié par le nombre de carrés demandés.  

Techniquement, chaque carré est séparé par un espace vierge, de manière à faciliter le découpage selon la demande du client. Un carré pour un foulard de tête quatre, cinq ou plus pour une robe.  

Ce pré découpage fut un stratagème ingénieux qui permit aux anglais d’importer du madras en ballots et non sous la forme de mouchoirs pour minimiser les droits de douanes à leur arrivée à Londres.

Le saviez vous? La combinaison des produits utilisés par les artisans lors de la  fabrication fut à l’origine d’une nauséabonde  « fragrance « : l’huile de sésame,  dissolution partielle de l’amidon de riz et le dernier rinçage après tissage dans l’eau croupie des marécages. En fin de compte, cet inconvénient n’est-il pas une preuve d’authenticité ?


A SUIVRE 

  


LE MADRAS N°1

 LA  ROCAMBOLESQUE  SAGA D’UN CARRÉ DE 36 POUCES

Ce post automnal n’aurait été que la description d’une cotonnade très estivale,  joyeusement chahutée par des carreaux multicolores nonobstant ma curiosité et  son histoire pluri-séculaire aux ramifications cultuelles et culturelles  internationales.

COMME UN PASSEUR D’HISTOIRES                                                          Né sur les rives du golfe du Bengale, il a conquis le monde entier mais son parcours hors normes est jonché de drames et de joies, d’échecs et de victoires. Se faufiler entre les fils de ce tissu, c’est prendre conscience des répercussions d’un simple morceau d’étoffe sur la société d’un point de vue économique, politique et sociétal.                                                                Le saviez vous ? Au cours de l’histoire, le tissu-vêtement est maintes fois sorti de son rôle protecteur pour se transformer en un outil de résistance pacifique. Voici quelques exemples de ces signes de protestation adressés aux pouvoirs en place.  Le boycott des tissus anglais par Gandhi, les pantalons des sans-culottes, la coiffe en madras des esclaves affranchis aux Antilles, les chemises fleuries de Madiba.  

 A MI-CHEMIN ENTRE TRADITION ET FOLKLORE ?                                   Tradition du latin tradere, à travers et dare, transmettre. Folklore de l’anglais folk, peuple et lore, légende. Ce n’est qu’à la fin de ce post que vous serez en mesure d’en juger.

CHOIX JUDICIEUX                                                                                  En1640, Francis Day, premier directeur de la British East India Company, obtint auprès des autorités locales, l’autorisation d’établir une colonie britannique à Madraspatnam, un village de pêcheurs situé sur la côte de Coromandel. C’est, à la fois, la position géographie du village et le potentiel de l’artisanat textile régional qui attirèrent l’attention des colons. Avec la construction du fort St Georges, débuta l’irrésistible ascension d’un carré de coton qui deviendra le mouchoir-madras et le développement de la ville de Madras, rebaptisée Chennai  en 1996.                                                    Le saviez vous? : les britanniques firent preuve d’audace en misant sur le succès commercial hypothétique des cotonnades face à des concurrents qui parièrent sur des valeurs sûres comme le commerce des épices et des soieries brodées. A posteriori , les anglais prirent la bonne décision au vue de l’engouement de la clientèle européenne pour «les indiennes».  


SAVOIR POUR PREVOIR POUR POUVOIR                                                En prévision de l’accroissement de la demande, les britanniques incitèrent les artisans teinturiers et tisserands à s’installer dans la région du fort St Georges  en contrepartie d’une exemption d’impôts. L’opération fut une réussite, donnant l’impulsion nécessaire à la fondation de ce qui deviendra un des plus grands centres textiles de l’Inde coloniale.


LE RUMAL A L’ORIGINE DES FOULARDS MADRAS

Au XVIe siècle, teinturiers et tisserands de l’Inde du sud se spécialisèrent dans la fabrication de petits carrés de toile en fibres d’abaca unis ou quadrillés, aux couleurs douces. La fibre d’abaca, tirée d’une plante de la famille des bananiers, est caractérisée par un lustre qui réfléchit la lumière, ce qui lui valut le surnom de « soie de banane ».  Mais cette fibre, introduite en Inde à la fin du XVe siècle par les portugais, fut remplacée par le coton indien, une plante indigène plus facile à travailler et plus économique. Les madras, en coton et soie ou tout soie, étaient des créations européennes. Le rumal était utilisé par les fidèles pour envelopper les offrandes faites aux divinités vénérées dans les temples. Ce carré d’étoffe est devenu handkerchief en anglais et mouchoir en français, traduction pour le moins curieuse si l’on considère que sa fonction première était plus cérémonielle qu’utilitaire.                                                                                             Le saviez vous : On raconte qu’au XIX e siècle, un membre de la secte des Thugs aurait tué par strangulation plus de 900 personnes avec un rumal.



A SUIVRE