mercredi 31 mars 2021

 

LES MOLAS UNE AFFAIRE DE FEMMES SUITE

LA PUISSANCE DU LANGAGE VESTIMENTAIRE
Au début du XXe siècle, le gouvernement panaméen tenta d’interdire aux femmes kunas le port des chemises ornées des molas, considérant qu’elles arboraient le symbole de leur identité culturelle, action jugée comme un acte d’indiscipline. Cette sanction n’était pas une nouveauté pour les tulés car, au  XVIe siècle, sous la pression des  européens, les peintures corporelles avaient été interdites.  Orner  les chemisiers de molas étaient devenu  un moyen de résistance passive vis-à-vis du pouvoir en place.
Les motifs volontairement naïfs pour les étrangers véhiculaient des symboles, représentaient des personnages héroïques ou illustraient des légendes que seuls les initiés pouvaient décrypter. Cet interdit provoqua de vives réactions, les indiens se sentant opprimés par les forces gouvernementales.
La révolte du peuple Kuna éclata en 1925 et le gouvernement  dû  céder, octroyant à ce groupe ethnique un  régime d'autonomie territoriale, qui perdure encore en 2018
On sous-estime trop souvent le   pouvoir  du vêtement dans l’histoire. Les exemples ne manquent pas mais ils feront l’objet d’un autre post.

 










COMMENT LE MOLA EST IL DEVENU UN PRODUIT DE COLLECTION

C'est le canal de Panama qui est à l'origine du succès des molas. En effet ses répercussion sur l'histoire, le commerce, l'économie sont importantes. Les étrangers sont arrivés en grand nombre au Panama à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, certains pour travailler sur le chantier géant, et d'autres par curiosité. C'est parmi les curieux que l'on trouve les premiers amateurs de molas. C'est en voyageant un peu dans la région qu'ils découvrent ce groupe ethnique qui avait peu de contact avec les occidentaux, ils vivaient à l'écart, dans la foret. 
A cette époque les molas n'étaient pas un produit commercial, tout au plus les femmes qui les fabriquaient les utilisaient comme monnaie d'échange au sein de leur groupe, lorsqu'elles ne les utilisaient pas pour leur propre compte. 

Parmi les étrangers qui se pressaient à Panama se trouvaient des  collectionneurs qui furent séduits par ces articles authentiques et originaux. Les collections privées de molas  à travers le monde sont  peu nombreuses, mais elles sont généralement constituées   des molas anciens, "utilisés" ;  les couleurs de base sont le rouge foncé, l'orange, et le noir,  le support textile est en coton, les motifs sont complexes et  n'ont rien à voir avec les articles modernes fabriqués pour les touristes
C'est un parcours similaire à celui des ikats d'Ouzbekistan.


L'INFLUENCE NEFASTE DU TOURISME SUR L’ARTISANAT
Aujourd’hui, le tourisme risque de détruire une activité artisanale car, devant la demande sans cesse croissante, la qualité des molas diminue inéluctablement. Le coton n’est plus qu’un souvenir, les colorants naturels sont oubliés, les différentes épaisseurs sont assemblées à grands points, les messages ne sont plus masqués et se jouent des travers de notre civilisation (image de foot, de produits de consommation occidentaux apparaissent). Une question se pose ici comme partout dans le monde, s’il en était autrement,  si la qualité était préservée et le  prix plus élevé les ventes diminueraient-elles ?



Je pense malheureusement que ce que les panaméens cherchaient à éradiquer au début du XX e siècle,  à savoir la perte de l’identité d’un peuple, est en train de se produire sans l’usage de la force, mais uniquement par une surproduction insipide et grossière. Ce sont les femmes Kunas qui, elles mêmes, sans s’en rendre compte, vont à l’encontre de leurs convictions, rendant caduque la lutte de leurs ancêtres. Leur production ne doit pas s’adapter à la demande ; le contraire me semble une évidence.


DEVENIR UN TOURISTE RESPONSABLE POUR UN COMMERCE EQUITABLE
Nous, touristes, voyageurs curieux  nous avons une action à mener.Ne nous contentons pas de rapporter un souvenir de voyage, mais apprenons à connaître ceux à qui l’on rend visite, ne dénaturons pas ce qu’ils ont de plus précieux, leurs traditions, leur culture.  Maintenir l’authenticité des produits artisanaux  ici et ailleurs, est un devoir pour l’étranger de passage et une nécessité pour les autochtones. Le travail et le savoir- faire ont une valeur certaine et la morale voudrait que nous l’acceptions ou que nous passions notre chemin.
Refuser de prendre part à cette mascarade que sont devenus les marchés artisanaux qui fleurissent un peu partout  depuis l’apparition du tourisme de masse, ne pas acheter ces objets de qualité médiocre qui ne véhiculent aucune émotion, qui ne sont pas uniques mais multiples,  c’est  aider les artisans à  produire selon des méthodes ancestrales sans se faire déposséder par des marchands de souvenirs qui font peu cas de la survie d’une culture. Sur ces bonnes paroles je vous quitte pour aller à la recherche du plus beau des molas, celui qui se cache, celui qui m’attend quelque part dans cette région du monde. Il faut se donner la peine de chercher pour trouver.



 

LES MOLAS DES KUNAS, UNE HISTOIRE DE FEMMES

VOYAGE PASSION
Evidemment j’aime les voyages et pour moi ils  sont souvent un prétexte à découvrir le secret des traditions textiles locales. Il n’était donc pas question de passer si près de l'archipel de San Blas, situé dans  la mer des caraïbes,  à proximité de la côte du Panama et de la côte colombienne, sans faire un  post sur les molas, ces pièces de textile savamment colorées, éléments incontournables des parures du costume  traditionnel des indiennes kunas.


UNE HISTOIRE DE FEMMES
Le mola  c'est l'union de l’imagination, de la tradition et de la technique. Un savoir -faire  transmis de mere en fille chez les tulés   groupe ethnique  dont les origines remontent aux Mayas. Les tulés ou kunas   perpetuent le régime matriarcal.  Le terme Kuna n'est que le nom donné à ce peuple par les étrangers.
Les molas sont la prolongation des peintures corporelles ancestrales. Avant l'arrivée des 
occidentaux catholiques  au XVIe siècle et des protestants au XVIIe siècle en Amerique centrale, les femmes tulés décoraient leurs corps de peintures  aux lignes géométriques en utilisant les colorants naturels locaux.
Les molas étaient  un des  éléments de la tenue vestimentaire traditionnelle des femmes kunas apparu au XIXe siècle.  Aujourd'hui  les molas   sont les éléments essentiels  d'un commerce  lucratif qui s'adresse aux touristes.  Même si quelques hommes commencent à créer des molas, ce sont les femmes qui assurent majoritairement leur fabrication et la vente ; ce sont elles que l’on retrouve sur les marchés artisanaux, vêtues de leur costume traditionnel, mais un grand nombre de boutiques de souvenirs proposent des molas plus ou moins élaborés. Il serait dommageable que la demande de plus en plus importante   anéantisse la qualité de ces articles, et que tout cela finisse par une production industrielle.
 J'ai rencontré sur une des iles de l'archipel, un homme qui crée et qui vend des molas,  un artiste qui signe toutes ses œuvres, et qui à le mérite de les accompagner d'explications très intéressantes. ... mais  il a refusé d'être photographié.  Sur sept ou huit femmes qui exposaient leurs productions il était le seul homme.
 
une femme Kuna qui vend sa production sur un marché artisanal de Panama city



ETYMOLOGIE
Mola signifie dans la langue kuna «plumage de l’oiseau ».

QU'EST CE QU'UN MOLA?
 Il s’agit d’une pièce d’étoffe, jadis en coton (aujourd'hui il faut être attentif à la qualité du support), utilisé en plastron et en dossard, cousue sur des chemises,   devant et dans le dos. Réalisée avec une technique complexe dite l’appliqué inversé, la technique du quilting à l’envers. Les motifs des molas sont obtenus en retranchant des parties dans chacune des épaisseurs de deux pour les plus simples jusqu'à six ou sept pour les plus élaborées).
Cette création textile en 3 D est constituée de plusieurs couches de tissus superposées de couleurs vives et contrastées. Le noir, le rouge foncé et l’orange sont des réminiscences des colorants naturels utilisés jadis pour les peintures corporelles.
Les différentes épaisseurs   sont  d’abord assemblées par des coutures plus ou moins discrètes avec un fil de la couleur du tissu. Parfois, les coutures sont plus élaborées considéré comme un élément de décor. Le dessin nait des de l’agilité manuelle des artisans illustrant l’imaginaire traditionnel des  kunas.


les poissons un motif très fréquent dans les molas modernes


Chaque épaisseur de tissu est ensuite découpée à l’aide de ciseaux faisant apparaître des motifs géométriques, abstraits  ou figuratifs. 

un travail qui réclame  de  la patience et de l'habileté


LES MOLAS : UN MOYEN D’EXPRESSION CAMOUFLE
A l’origine, c’est–à-dire avant la conquête espagnole, les indiennes tulé ornaient leur corps de peintures. Les colons incitèrent ou  plûtot obligèrent les indigènes à masquer leur nudité en couvrant leur corps  de vêtements.  De fat les messages véhiculés par les peintures furent alors transposés sur un support textile. Ainsi naquit le mola des kunas. A cause, ou peut être grâce, aux colons, le langage éphémère des peintures corporelles s’est transformé en une expression durable.


le costume traditionnel : jupe mi longue, jambiere et bracelets en perles de couleurs et la blouse ornée d'un mola que l'on ne voit pas sur cette  photo...!

mercredi 10 mars 2021

2 LA GABARDINE :TOUTE UNE HISTOIRE SUITE (publié sur le blog étoffe.com)

 À QUI LE TOUR ?

Jusque dans les années 70, les « gabardines » étaient « ré-imperméabilisées » par les teinturiers après chaque nettoyage. Si, à l’arrivée des tissus en nylon, la gabardine perdit de sa superbe en tant que vêtement, l’utilisation de l’étoffe du même nom ne fut jamais remise en question. A leur tour, les imperméables en nylon furent largement et efficacement remplacés par les articles en microfibres. Et demain qui sera l’heureux élu ?
LE BIOMIMETISME EN ACTION
L’eau de pluie, au contact de la gabardine déperlante, se transforme en goutte ronde et dodue qui dévale la pente vertigineuse des côtes et des sillons jusqu’à chuter dans le vide sans stagner sur le tissu, évitant les risques d’imprégnation. En écrivant ces lignes, j’aperçois par la fenêtre la pluie qui tombe sur les feuilles de mes iris. Je remarque que les gouttes se mettent en boule et ruissellent gentiment au creux des feuilles lisses qui, sous le poids des perles transparentes, se courbent vers le sol pour les aider à terminer leur course sur le tapis vert de la pelouse. Nos chercheurs auraient-ils la fibre végétale ?
GABARDINE DE LAINE OU DE COTON ?
En laine, la gabardine de qualité est brillante, robuste et souple. Il faut oublier celle qui va se froisser rapidement sans avoir la force de reprendre sa forme initiale. La laine, pour vous donner satisfaction, doit être « tonique » c’est-à-dire qu’enfermée dans votre main, elle profite de l’ouverture pour sortir comme un pantin de sa boite, comme si elle était montée sur ressort ; c’est l’incidence de la frisure du poil de mouton. J’aime ces tissus percutants, vivants et solides à la fois. Le tissage doit être serré, faute de quoi des déformations aux genoux pour les pantalons, aux coudes pour les vestes, sont à craindre.
En coton, la gabardine est solide, souple mais sans mollesse. Il suffit d’un coup d’œil pour s’assurer de sa qualité : régularité des côtes et des sillons, bonne tenue du tissu en le froissant entre vos mains. Compte tenu de ces utilisations, il ne me semble pas cohérent de rechercher une gabardine de coton ostensiblement lustrée. Si tel est le but, autant choisir une autre étoffe. Les plus belles gabardines sont les plus sobres.
UN POUR TOUS, TOUS POUR UN !
La gabardine est particulièrement bien adaptée aux articles sportswear : jupes, pantalons, vestes : tout lui va. Mais attention ! C’est un tissu qui ne supporte pas la médiocrité, ni dans la matière, ni dans la coupe, ni dans les finitions.
« Si nous voulons trotter à pieds à cheval ou gravir la montagne(…) ce n’est pas à vous couturiers que nous avons affaire, mais à des spécialistes que vous dédaignez, des techniciens de la gabardine imperméable, de la bande molletière, de la bottine à ski, de la culotte de Saumur » Colette in les quatre saisons.
SUR LE RING
Il n’y a pas une mais des gabardines, chacune présentant des atouts qu’il convient d’exploiter au mieux.
Poids léger : le tissu à tendance à se froisser aisément et les vêtements doivent être doublés.
Poids moyen : adapté pour les tailleurs, vestes et les coupes structurées.
Poids lourd : convient aux coupes plutôt classiques, ce tissu étant quasi inusable, le vêtement devra survivre aux modes. Une relation de confiance se crée entre vous et votre vêtement puisque vous ferez ensemble un bout de chemin.
LA GABARDINE NE FAIT PAS BONNE IMPRESSION
En coton, laine ou polyester, les gabardines sont des tissus généralement unis, car l’impression sur une surface en relief est délicate.
UN PASSAGE PERILLEUX
Repasser un tissu en gabardine de coton ou de laine est un acte délicat. Le repassage a pour principe de faire glisser le fer sur le tissu dans un sens puis dans l’autre : passer et repasser. Le fer à repasser est lourd et chauffé afin d’écraser les coutures et les plis, ce qui est mieux adapté pour les articles en coton. Pour un lainage, la vapeur, principe du pressing, est plus indiquée. Mais toujours un fer tiède et de la souplesse dans le mouvement. Les pièces importantes apprécient vivement une visite chez un teinturier de temps à autre. Le pressing n’est pas le repassage, il rénove l’aspect d’un vêtement.
LA GABARDINE A LA PAGE CHEZ LAROUSSE
On trouve cette définition du mot gabardine dans le Larousse universel éd.1949 « long manteau à manches, imperméabilisé ».
LA LEGENDE
Je ne vous ferai pas languir plus longtemps car, pour nombre d’amateurs, la gabardine se confond avec la gabardine Burberry® devenue une icône de la mode. Certes, une légende n’est qu’une légende mais quelle histoire !
ALEA JACTA EST
Déceler le vrai du faux, c’est sortir de la légende. Alors allons-y franchement. C’est le parcours héroïque de Thomas Burberry, un anglais, sportif, créatif, ambitieux, audacieux et perclus de rhumatismes.
UNE FORMATION « SUCCESFULL »
Placé comme apprenti chez un drapier, il prit le temps de se familiariser avec les étoffes avant d’ouvrir un atelier boutique dans le New Hampshire. Sa spécialité ? La confection de vêtements d’extérieurs chauds, confortables et plus ou moins imperméables, adaptés aux efforts physiques et au climat chargé d’humidité ce qui est un doux euphémisme. Il habille des notables de la région, des sportifs et ses amis chasseurs. Le succès aidant sa boutique devient un “grand magasin“.
LE MAC SUR LE DOS REMIS EN QUESTION
Dans les années 1860-70 l’imperméable macintosh ou mac était ce qui se faisait de mieux. Taillé dans une toile de coton enduite d’une couche de caoutchouc, il était réellement imperméable à l’eau et à l’air. Cette qualité le rendait inconfortable pour de multiples raisons : la transpiration n’avait aucun moyen de s’échapper, l’enduction caoutchoutée augmentait le poids du vêtement, une mauvaise odeur se dégageait de l’ensemble et, cerise sur le gâteau, par forte chaleur, le caoutchouc avait tendance à fondre. Une prescription médicale intima à Monsieur Burberry l’ordre de se séparer de son mac qui lui faisait plus de mal que de bien alors que ses crises de rhumatismes récurrentes le contraignaient à se protéger de l’humidité ambiante.
CHERCHER UN SUBSTITUT
Les tissus techniques existants n’étaient pas à la hauteur de ses espérances, d’ailleurs il y en avait très peu. Ce marché était ouvert et attendait que quelqu’un s’y intéresse.
DES ESSAIS
N’ayant ni l’intention de quitter la campagne pour la ville, ni de laisser la pluie accentuer ses douleurs, il fit de nombreuses tentatives pour obtenir un tissu léger, chaud et imperméable. Ainsi débuta l’histoire de la gabardine Burberry.
LA PUCE A L’OREILLE
C’est en croisant un berger vêtu d’une grossière chemise en lin qui ne semblait nullement gêné par la pluie que l’idée germa dans l’esprit de Thomas Burberry. A priori, la chemise était devenue quasiment imperméable à force d’être en contact avec les moutons. Le suint, substance graisseuse présente dans la laine des moutons qui rend la toison imperméable, avait probablement imprégné le vêtement.
LE GRAAL
Partant de ce constat, il mit au point une étoffe légère, chaude, imperméable et respirante, en améliorant les qualités naturelles d’une gabardine de laine. Au lieu de déposer un apprêt sur la surface de l’étoffe comme le fit Macintosh, chaque fil était enduit d’une substance hydrophobe avant le tissage.
1888 : Le procédé de la gabardine imperméable Burberry est breveté. Plus tard, appliquée sur une gabardine de coton, cette technique apporta un confort supplémentaire, les vêtements étant plus légers.
LES HEROS S’AFFICHENT EN BURBERRY
Au début du XXe siècle, les équipements proposés aux sportifs de haut niveau, aux explorateurs, aux navigateurs, aux alpinistes n’étaient pas suffisamment fiables techniquement pour résister aux efforts physiques, et affronter des températures extrêmes dans des conditions de confort acceptables. La gabardine Burberry, permit à l’homme de réaliser des exploits en se rapprochant des pôles, en gravissant les plus hauts sommets, en survolant la terre en montgolfière. Le vêtement lui même relevait de l’exploit mais l’étoffe était d’une efficacité redoutable pour les tentes et sacs à dos. Burberry® circule depuis dans le monde entier, jusqu’à devenir un nom presque commun. Le roi Edouard VII demandait par habitude qu’on lui apporte “sa burberry“. L’apprenti drapier Thomas Burberry de Brockham devint Sir Thomas Burberry of London. Quant au trench-coat, c’est encore une autre histoire.
UN AUTRE REGARD
Plus qu’un tissu, plus qu’un vêtement, la gabardine est une histoire à elle toute seule.

1 LA GABARDINE :TOUTE UNE HISTOIRE (publié sur le blog étoffe.com)

TROP BANALE LA GABARDINE ?

On imagine tout connaître de la gabardine, on pense avoir fait le tour de ce tissu/vêtement mi classique, mi iconique, sa lecture trop évidente en lasse certains ! Mais la réalité est toute autre. La gabardine mérite une relecture. Alors équipez vous d’un soupçon de curiosité et suivez le textile-guide.
À LA LOUPE
Si vous avez un compte fils, c’est le moment de vous en servir. L’œil se perd dans un dédale de pris et de laissés. La construction dynamique de l’armure croisé rythme la surface de l’étoffe avec ses côtes parallèles, fines, nettes, saillantes, séparées les unes des autres par des sillons profonds. Ensemble, ces lignes obliquent de la gauche vers la droite. Le relief est fonction de la grosseur des fils ; sur l’envers, il est peu marqué. C’est un bon moyen pour reconnaître une gabardine.
JANUS
Au sens moderne du terme, la gabardine fait généralement référence au vêtement imperméable beige, pièce emblématique du vestiaire masculin britannique, plus rarement à l’étoffe. Je souhaite redorer le blason de la gabardine qu’elle soit de laine, de coton ou en fibres mélangées, mais toujours depuis sa création, tissée avec l’armure croisé.
UNE ORIGINE FUSIONNELLE
Etymologiquement, le mot gabardine est une construction complexe : de l’arabe qaba qui donne caban et de l’espagnol gabardina, longs manteaux de protection en laine commun au XIIe siècle. Les points communs ? L’armure et la laine.
À LA CROISÉE DES CHEMINS
Méconnue, l’armure croisé souvent confondue avec l’armure sergé fut, à toutes les époques, celle choisie pour le tissage de la gabardine, le terme armure complexe lui sied bien.
UNE ARMURE AU SENS PROPRE
Les côtes et ses sillons barrent énergiquement la surface de l’étoffe tels des soldats prêts à empêcher la moindre incursion d’eau et d’air. Ces côtes obliques et ces sillons profonds constituent la colonne vertébrale d’un vêtement et un atout majeur pour sa tenue.
UN DÉSÉQUILIBRE BIEN ORDONNÉ
Entre chaîne et trame, les différences sont bien marquées : les fils de chaîne plus nombreux que les fils de trame subissent une torsion plus importante afin d’accentuer la résistance de l’étoffe à l’usure. Dans les plus belles qualités, les plus longues fibres sont sélectionnées pour le filage afin d’obtenir des fils lisses et souples. Ceci explique la raison pour laquelle les pantalons en gabardine de laine n’entrainent aucune allergie, même sur les peaux délicates.
UNE CONSTRUCTION “GENRÉE“
Une différence dans le tissage préside à la destinée des gabardines : l’inclinaison des côtes différencie leur utilisation : 63% pour la gabardine masculine et 45% pour la gabardine féminine par rapport aux lisières. Ceci se justifie pour une question de poids et de souplesse mieux adaptés à la morphologie de chacun. La polyvalence de la gabardine n’est donc plus à démontrer.
RETOUR À LA CASE DÉPART
Contrairement à ce qui circule “dans les milieux plus ou moins bien informés“ Thomas Burberry n’est pas l’inventeur de la gabardine qui existait déjà au Moyen Age ; il a seulement, et c’est déjà beaucoup, contribué à renforcer sa fonction imperméable.
UN CONFORT TRES RELATIF
Jadis, pour que les vêtements de protection soient réellement imperméables à l’eau et à l’air, peu de solution s’offraient aux tisserands. Soit la laine était feutrée, soit foulée, soit filée sans avoir été désuintée. En contre partie, le vêtement était lourd et, dans le dernier cas, le vêtement se raidissait par temps froid, son toucher était poisseux, et dégageait une odeur désagréable.
UNE FORMULE TOUT COMPRIS
Grâce au procédé fort ingénieux de Mr Burberry, la gabardine tissu devint la gabardine vêtement, le duo gagnant en imperméabilité et en légèreté. Depuis, les deux vivent en bonne intelligence suivant leur propre destinée.
AU FIL DES SIÈCLES NÉCESSITE FAIT LOI
La forme de la gabardina va s’adapter aux besoins des populations, aux diktats de la mode, aux injonctions de la politique.
Court et large, c’est le tabard, porté par les soldats par dessus leur armure.
Ample et longue avec manches, c’est le manteau. Au Maroc, au XIIe siècle, sous la dynastie des Almohades, les juifs avaient l’obligation de porter comme signe distinctif une gabardine, ample et long manteau de couleur bleue.
Large et longue et sans manches, c’est la pèlerine, pièce maitresse de l’habillement des pèlerins mendiants, nombreux au XIXe siècle. Comme les plaids écossais, la pèlerine en gabardine de laine ou de coton avait de multiples usages : manteau, couverture, nappe, objets indispensables aux voyageurs sans bagage ou si peu. De 1901 à 1984 les agents cyclistes parisiens baptisés « hirondelles » étaient vêtus d’une courte pèlerine.
Mi long, imperméable boutonné et ceinturé : fin XIXe siècle,un prototype de ce que sera le trench-coat Burberry est commercialisé, coupé dans une gabardine de laine rendue imperméable.
LA GABARDINE ET L’EAU ?
Le tissage serré et les côtes obliques sont les éléments clés qui empêchent les petites pluies ou les crachins anglo-normands de traverser l’étoffe, mais cette spécificité est éphémère et peu efficace en cas de pluies violentes et persistantes. Pour rentrer dans le cercle des tissus techniques, la gabardine devra subir une opération esthétique.
IMPERMÉABLE OU DÉPERLANTE ? THAT IS THE QUESTION
Le traitement déperlant, appliqué sur une gabardine, permet de renforcer la barrière contre l’eau et l’air tout en laissant un passage pour les vapeurs corporelles. Ce procédé, s’il n’est pas permanent, a le mérite d’offrir un confort que n’aurait pas un tissu totalement imperméable qui fait barrage à l’eau et de la transpiration, à l’entrée comme à la sortie.
RESPIRER À TOUT PRIX
La gabardine est un tissu déperlant « respirant », le terme gabardine imperméable n’est correct que s’il désigne un vêtement.
A SUIVRE

vendredi 5 mars 2021

MON METIER : TEXTILE GLOBE TROTTEUSE

  


LES FRUITS DE MES PASSIONS

J'ai cette chance d'avoir non pas une mais des passions et d'avoir pu en faire mes métiers l'histoire de l'art et l'art du tissage, les voyages et les rencontres avec des artistes, des artisans et avec leurs clients.

En Irlande, avec l'un des derniers tisserands de Tweed.


En Ecosse, à la rencontre d'un producteur de laine.


A Madagascar, même en vacances, je ne m'éloigne jamais de mes passions.

 

Le tisserand ouzbek m'a cédé sa place quelques minutes pour la photo. 

 SUR LE FIL 

Si ma gourmandise n'a d'égale que ma curiosité, elle m'a aussi permis, au fil de l'histoire et des histoires, de trouver le lien qui relie la gastronomie aux étoffes et le textile à l'écriture. 

UNE AMITIE SINCERE

C'est parce qu'ils ont tous une histoire, ces artefacts, tableaux, objets, dessins, sculptures, tissus, que je les aime et qu'ils sont devenus mes amis au"fil" des ans. 

 JUST A GO BETWEEN

Bien que je ne sois pas à l'origine de leur création, la relation d'amitié qui s'établie entre eux et moi provoque un déchirement lorsque je dois me séparer de certaines de ces pièces. Mais c'est le jeu, j'achète et je vends, je ne suis pas propriétaire de ces articles j'assure simplement une transition, pour ne pas dire une transmission.

UN CHOIX CORNELIEN

Un jour, il a fallu que, professionnellement, je choisisse entre mes passions : vendre des œuvres d'art ou vendre du tissu...J'ai opté pour la seconde. 

UNE AFFAIRE DE FAMILLE

Je suis entrée dans le cocon professionnel de la famille Kouliche, créé par mon grand père. Encore un défi à relever : après deux générations "de père en fils" une fille et un changement d'enseigne ! De Gilles Tissus fut une belle aventure qui a duré plus de trente ans !  

ALI BABA

Merci aux étoffes qui ont trouvée sur les rayonnages une place à la hauteur de leurs espérances ; merci à  la clientèle qui trouvant dans ce capharnaüm la perle rare m'a suivi durant des années, parfois de génération en génération et merci à tous de continuer à suivre mes  pérégrinations  sur ce blog

“RIEN NE SE PERD, RIEN NE SE CREE, TOUT SE TRANSFORME“

Je sais qu'après être passés entre mes mains, ces tissus ont eu une vie, et quelle vie ! Ils  ont habillé des cantatrices, grimé des comédiens, protégé des acrobates. ils se sont transformés en vêtements extravagants ou classiques. Certains ont même habillé des fenêtres, recouvert des fauteuils, redonné une nouvelle jeunesse à de vieux canapés.



MA CURIOSITE N'A JAMAIS ETE UN VILAIN DEFAUT

Si elle me pousse vers l'avant, vers l'inconnu, vers l'aventure ; si je vais plus loin en cherchant sans cesse les étoffes d'exception, improbables, insolites, rares, uniques, c'est par une saine curiosité et c'est passionnant.

"SENS" DESSUS DESSOUS

Sans exploiter mes sens, ce métier n'aurait eu aucun sens. Eminemment sensuel, le tissu n'existe réellement que parce qu'il les titille, les surprend, les agresse, les divertit, en un mot il leur parle.
L'odorat : les apprêts réservent parfois quelques surprises, généralement pas très agréables.



La vue : chaque fois c'est une surprise ; je me délecte des couleurs, ces mélanges colorés sont jubilatoires, ces gammes si vastes que l'on s'y perd avec délice sont des points de repère on ne peut plus indispensables. Ici, la photo fut prise dans un atelier de teinture éphémère installé pour les besoins d'un film dans le patio d'une ancienne demeure de la haute bourgeoisie laissée à l'abandon par les héritiers, faute de moyens pour l'entretenir, non loin de Chennai (Madras).
 

Le toucher est un exercice quotidien, comme un test à l'aveugle : mes mains m'aident à juger de la qualité d'un tissu, j'apprécie la finesse des fibres, je découvre leur texture douces ou rêches, du bout des doigts je perçois l'aspect physique de la surface qui peut être lisse ou velue et hirsute, du dos de la main, je sais si l'étoffe provoquera une réaction épidermique sur une peau délicate, en froissant un morceau de tissu à pleine main, je constate sa réaction et en déduis sa fragilité, son tonus, sa mollesse... 




L'ouïe : aucune photo ne peut imiter le cri de la soie et, pour qui un jour l'a entendu, c'est inoubliable !

AVIS DE DISPARITION
Je profite de ce post pour lancé un appel : ce magnifique plaid trouvé chez un antiquaire bolivien fut volé chez De Gilles tissus en 2013 avec encore bien d'autres trésors...
 
QUITTE OU DOUBLE
Quelquefois, devant un tissu, je m'oblige à modérer mon enthousiasme ou bien je fonce sans retenue, au risque de me tromper. je ne suis certaine d'avoir fait le bon choix qu'une fois la marchandise vendue ! C'est le client qui, au final, apprécie mon choix ou ignore le produit.



Un avion en retard, une boutique ouverte dans l'aérodrome d'une petite ville en Bolivie, et c'est le temps qu'il me faut pour un petit shopping chapeau !  Ce fut une aubaine pour la vendeuse bolivienne et, pour moi, la parisienne.
   
TEXTILE GLOBE TROTTEUSE
Depuis des d'années je chine ici et ailleurs, à Paris ou à Roubaix, à Tbilissi ou à Sisimut et, pour réussir ce défi, j'ai entrainé mon mari dans cette aventure. Sans lui, je n'aurais probablement jamais été aussi loin de la rue de la roquette. 
Les tissus, les étoffes, les textiles, peu importe le nom qu'on leur donne, me font rêver, ils sont des sources d'inspiration, un espace dédié à l'imagination et à la créativité.

DES SITES IMPROBABLES
Dans une plantation d'hévéa au milieu de la forêt Amazonienne, côté brésilien,  des plaques de caoutchouc en train de sécher. Nous ne sommes pas très loin de  Manaus, ville construite au XIXe siècle grâce à l'essor économique de la région basé sur l'extraction du latex.








DES FIBRES INSOUPCONNEES
En Birmanie, sur le lac Inlé, on file et on tisse les fibres de lotus.




























DES OBJETS DE LEGENDES
Le panama est originaire d'Equateur.

Tressage par des mains très habiles d'un panama à Quito


Heureusement, il me reste encore beaucoup d'endroits à découvrir et d'artisans à rencontrer. Ma curiosité ne s'est pas encore émoussée malgré plus de 40 années passées à traquer les trésors textiles à travers le monde.
Je souhaite ainsi pouvoir m'étonner et vous étonner encore longtemps.