RUSTIQUE ET SUBTILE : UNE MATIERE HORS NORMES
Difficile d'imaginer que ce tissu si subtil, soit obtenu avec un matériel aussi sommaire : une chaîne humaine qui ne recours pas ou peu aux machines mais qui utilise ses mains, sa force, sa patience, son savoir faire transmis de générations en générations
UN MINIMUM POUR UN MAXIMUM
Le résultat est surprenant pour nous qui sommes habitués à déléguer le travail aux machines. Un matériel digne de nos musées, des machines bringuebalantes : un rouet qui grince à chaque tour de roue, fait de bric et de broc, actionné manuellement par un homme sans âge.
un métier à tisser bricolés avec du bois de récupérations, des ficelles pour maintenir debout l'ensemble, des bidons d'huile de moteur (pour les bateaux) en guise de contre-poids.
Les teintures sont réalisées manuellement, avec des matières colorantes encore naturelles m'a t on affirmé .
Avec cette économie de moyens, le résultat dépasse l'entendement pour un étranger tellement habituer à déléguer le travail aux machines.
UN INTRUS DANS UN UNIVERS MONDIALISE
Ce tissu est difficile à décrire, c'est pour cette raison que je tenais à le voir et vous permettre de le voir, de le toucher.
Son aspect oscille entre le lin pour la solidité et le grain et la bourrette de soie pour la souplesse, soit d'une légèreté presque magique, qui contraste avec son aspect rustique. Une autre particularité apparait après usage : l'écharpe que j'ai utilisée durant mon séjour au lac Inle, fut pliée, roulée, mouillée par les éclaboussures, chauffée par le soleil, mais jamais froissée. Sa texture incite à la caresse, sa souplesse laisse rêveur, sa solidité est étonnante.
Cette fibre est un trésor qu'il convient de traiter avec déférence ; elle est non seulement naturelle (pour l'instant), artisanale (pour l'instant), et plus qu'aucun autre tissu au monde, elle possède une charge émotionnelle et culturelle et cultuelle véhiculée par une philosophie de vie.
Je suppute que la méditation est en partie responsable de la "zénitude" des ouvrières et leur longévité
QUESTION D'ETHIQUE
Pour autant, faut-il imaginer couper nos vêtements occidentaux dans cette étoffe ? Ce serait un pêché d'orgueil parce que, originellement, ce travail titanesque était destiné à honorer un homme qui respecte la doctrine de Bouddha et les cinq préceptes qui rythment la vie quotidienne des bouddhistes : ne pas mentir, ne pas boire, ne pas tuer, ne pas avoir une conduite sexuelle incorrecte, ne pas voler.
Ce tissu n'a pas de nom, parfois on le nomme kya-thingahn c'est-à-dire robe de lotus. Cet anonymat volontaire, tranche avec son coût disproportionné.
DEUX BARRIERES INFRANCHISSABLES
Le tissu de lotus est encore "intouchable" pour les birmans deux raisons : sa puissance mystique et son prix.
Les birmans, ne portent pas de vêtements en fibres de lotus, vous n'en trouverez ni dans les magasins, ni sur les marchés. Seuls quelques boutiques de grands hôtels proposent quelques articles en fibre de lotus, s'adressant à une clientèle étrangère.
coupons de coton uni, ikatés, ou imprimés de motifs ethniques pour longy,
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le longy est une jupe longue portée indifféremment par les hommes et les femmes en Birmanie
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UN JEU DE LUXE
Cependant pour quelques occidentaux fortunés, c'est une gageure de posséder un vêtement en lotus. Sa rareté, et son prix le transforme en objet de désir, mais la valeur symbolique qui elle, est gratuite, n'entre pas en ligne de compte dans l'achat d'un costume ou d'une veste en lotus à plus de 6000 euros. Je redoute de voir ce "petit bonheur" transformé par un bon marketing en une mode l'espace d'une saison. Si la recherche du tissu de lotus n'a d'autre but que la frime, alors j'ai raté mon objectif.
MISER SUR LE RESPECT DES TRADITIONS
Sur place, en découvrant un peuple, en me documentant sur son histoire, je me suis rendu à l'évidence : je n'avait rien compris. Nous gommons, effaçons, lissons, uniformisons, formatons , mais nous oublions une chose : le tissu est un langage, un lien tissé entre les peuples plus qu'un simple objet de consommation. C'est en voyageant que l'on s'aperçoit de cette particularité.
UNE JOLIE RENCONTRE
Je suis contente d'avoir eu cette rencontre avec cette étoffe et d'avoir pris conscience de ce qu'elle représente pour une société qui vit en marge de ce que nous appelons le progrès. C'est un époustouflant savoir faire qui laisse une empreinte mystique dont nous ne prenons pas réellement la mesure.
Alors ma décision est prise, en fait depuis le début de ma rencontre avec les habitants du lac Inle. Oui, j'avais dans l'idée de commercialiser le tissu de lotus avant de me rendre au lac Inlé, oui j'avais pris des contacts avec diverses firmes, oui j'ai acheté et rapporté des échantillons, oui, j'ai une écharpe en lotus, oui je suis dépositaire de ce petit trésor, oui vous pourrez le découvrir en venant nous rendre visite, et non je ne veux pas participer à la perte d'identité de ce tissu, le dénaturer, en faire un banal produit commercial. Alors ne me demandez pas un métrage pour vous faire "la robe de l'année", parce que ce sera non!
C'est encore un article authentique que la célébrité n'a pas métamorphosé : profitez en pour faire sa connaissance simplement, sans bla-bla, sans bling-bling, sans chi-chi et pourquoi pas repartir avec un peu de sérénité autour de votre cou. Rendez vous chez De Gilles Tissus.
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