lundi 31 janvier 2022

LA MELODIE BIEN ETOFFEE D'UNE SYNESTHETE

 

Ce soir, je serai peut être la plus émue sinon la plus belle pour assister au concert du 31 décembre "musikverein" de Vienne. Un rêve depuis mon enfance, largement partagé avec mon père. Un but que je m'étais promis d'atteindre et voilà que, soudain, il s'accomplit avec la complicité de mes amis, de mes enfants, un cadeau de tous les superlatifs : tu iras au concert... C'était en  mars 2020... Covid oblige, ce n'est qu'en décembre 2021 que, sous la direction du maestro Daniel Barenboim, enfin les premières notes s'égrenèrent pour une fois non pas en mondiovision, mais en persovision ! J'y étais enfin !  Tenues de soirée oblige, les robes du soir et smokings offraient un éventail d'étoffes qui se montraient sous leur meilleur jour.

Au rythme des valses viennoises et des polkas, mon imaginaire s'est joué de moi en associant à ces cascades de sonorités un défilé d'étoffes. Et oui, je suis synèsthète. C'est donc dans un joyeux carambolage acoustique que les tissus viennent valser titillant mon ouïe, ma vue et mon imaginaire !

Curieusement si la cadence d'une valse  m'entraine sur la  surface lisse, glissante et souple d'un crêpe satin, le rythme saccadé du "piqué pointe et pas de polka "me fait irrémédiablement songé au bruit inimitable  de l'aiguille de la machine qui pique et coud, pique et coud, pique et coud avec la régularité d'un métronome en rythme et en mesure.

Les archets s'agitent sur les cordes du premier violon et, les yeux fermés, les oreilles en émoi, le coeur battant la chamade mais pas trop, insensiblement j'associe ces sonorités à un défilé imaginaire dont les héroïnes sont les étoffes.  

C'est au rythme des quatre temps d'une valse viennoise que j'imaginais le tournoiement dans un léger bruissement, le taffetas des robes dans un arc en ciel de couleurs "cuisse de nymphe émue, rose thé, blond vénitien, etc.

Un grondement de grosse caisse et voilà qu'entre en jeu le lourd manteau de laine d'un prince qui vient tout juste de descendre de son destrier. Les cymbales s'entrechoquent peut être pour faire tomber les flocons de neige qui s'étaient déposés sans le moindre bruit sur les épaules dudit manteau.

D'un geste précis, le maestro entraîne tous les violons dans une course effrénée, les bras des musiciens dans un va et vient compulsif suivent la partition et j'imagine sur ces sonorités vibrantes qui délicieusement envahissent mon conduit auditif, un vol de mousseline qui, après des cabrioles infinies au grès d'une brise, finissent dans un tourbillon par se poser sur un parterre de mousse au pied d'un grands chêne.

Le Danube, certes bleu lorsqu'il est mis en notes par Strauss, dans ma version textile revêt un aspect pur, limpide, sobre et solide comme la surface légèrement granuleuse d'une toile de lin. Il incite à la rêverie,  à la caresse, à la simplicité. Alors oui, je suis parfois “fleur bleue“ comme cette fleur  qui s'épanouit au sommet d'une tige fragile oscillant au grès du vent, comme l'archet qui effleure avec grâce les cordes d'un violon pour en tirer ces notes immaculées.

Le moment attendu arriva, le tintement du triangle ! Quel maîtrise pour parvenir à faire vibrer cet instrument au bon moment, obéir au doigt et surtout à l'œil du chef d'orchestre, maitriser cet instant et devenir, quelques secondes seulement, le héros d'un orchestre, voilà de quoi ravir mon instinct textilophile et mon tempérament de synesthète puisque ce son cristallin et furtif devient synonyme du cri de la soie, celui qui se fait entendre lorsque l'on déchire brusquement un taffetas, de soie évidemment.

Le coup de l'enclume, un son improbable rarement présent dans les concerts classiques n'est pas sans rappeler une correspondance entre cette sonorité ferrugineuse et les robes métalliques de Paco Rabanne, les lamelles qui s'entrechoquent au moindre mouvement du  mannequin qui la présente.

J'espère que ces instants magiques pour les sens, sans dessus dessous, séduits sans le moindre doute, se reproduiront souvent et qu'avec ce même plaisir infini, je vous les conterai.

 

samedi 15 janvier 2022

ENTRE TEXTE ET TEXTILE UN LIEN INDEFECTIBLE

Ecrire c'est un peu tisser : les lettres en un certain ordre assemblées forment des mots qui mis bout à bout deviennent des textes. Les brins de fibres textiles assemblés par torsion plus ou moins forte forment des fils qui en un certain ordre entrelacés deviennent des tissus. 

Textile et texte, un tête à tête où toute ressemblance n'est pas fortuite. Il est des civilisations qui transmettent leur culture par l'écriture,   par la parole, et d'autres par la parole écrite avec un fil.

Entre le tissu et moi c'est une histoire de famille : quatre générations et quatre manière différentes de tisser des liens intergénérationnels

Après mes études  à l'Ecole du Louvre, un passage dans les musées nationaux , une  formation de guide conférencière, j'ai découvert  les coulisses délicieuses des étoffes, un univers vaste et culturellement  passionnant; Ainsi je me suis laisser dans des flots de taffetas, avec délice j'ai gravi des montagnes de mousseline, avec curiosité j'ai traversé des rivières de tweed, et pendant plus de 35 ans j'ai oeuvré au sein de la société De Gilles tissus, et toujours avec la même curiosité. J'ai admiré le savoir- faire des créateurs et créatrices de costumes qui habillent, costument, déguisent, travestissent comédiens, acteurs, chanteurs, clowns pour le plus grand plaisir des spectateurs

J'ai aimé travailler avec les décorateurs d'intérieurs toujous à la recherche du graal pour la satisfaction de leurs clients

Du lange au linceul le tissu nous accompagne, il partage nos jours et nos nuits et pourtant il demeure un inconnu, souvent un incompris! Si parler chiffon  peut sembler au premier abord   futile, au delà des mots tissu, textile, étoffe, dentelle, feutre, tapisserie, broderie , dentelle c'est un univers qui mérite d'être découvert

Ainsi au fil des ans les tissus sont devenus mes amis et dans ce blog c'est avec un plaisir gourmand que  je vous le présente tour à tour de manière ludique.

A toutes et à tous je vous souhaite une belle lecture

Catherine

 

samedi 8 janvier 2022

VOYAGE IMAGINAIRE AUTOUR D'UN FIL

 Pour voyager il n'est pas toujours nécessaire d'aller loin. Du placard au dressing,  du salon à la chambre, il suffit  de laisser libre court à son imaginaire pour faire ressurgir des images enfouies dans nos souvenirs. Chacun peut transformer l'univers  textile qui habille notre quotidien, d'apparence si banale   en un rêve de soie, une caresse de velours, un baiser de mousseline.

 Toucher, regarder, sentir, écouter les multiples facettes des étoffes c'est ouvrir la boite de Pandore, c'est tourner les pages de l'histoire,  c'est voir le monde industriel sous un autre angle, c'est comprendre les us et coutumes populaires, c'est parfois faire le lien entre la mode et la politique, c'est découvrir une langue universelle, écrite avec passion qu'il s'agisse de tissage, de tricotage ou de broderie tout tient à un fil et quel fil!  La diversité de ces entrelacements de fibres est un délice  cruel pour moi car il regorge d'anecdotes, foisonne d'indices, tant et tant que plus je cherche plus je trouve.  Ce blog est sans doute la partie émergée de mes recherches

Il est temps cher lecteurs et chères lectrice d' affronter ce mastodonte, de vous confronter à ce phénomène mondial, à tirer le fil d'ariane mais par des chemins de traverse. Offrez vous  le luxe d'un tour du monde en observant pour débuter les tissus qui vous entourent, dans  la garde robe, dans le linge de maison, dans les tissus d'ameublement. Tout est question d'imagination! Un simple torchon en metis renvoie l'image des fleurs bleues qui oscillent avec élégance et panache  au gres du vent dans les champs de lin normands..... Essayez vous verrez c'est fascinant et amusant. Je vous invite à partager  dans ce blog vos expériences, vos découvertes, vos émotions textiles.

HENRIETTE NIGRIN ET MARIANO FORTUNY AU PAYS DES MERVEILLES N°2

 LA TRANSGRESSION DES LIGNES

Ensemble, ils montèrent un atelier d’impressions où ils  expérimentèrent  des techniques d’impression sur velours de soie à la matrice de bois, firent de nombreux essais sur les pigments. De ces travaux naquit le magnifique  châle Knossos. Leur créativité fut alimentée par leur curiosité qui les incitait à  améliorer ce qui existait, se servant  des avancées scientifiques que des techniques nouvelles ainsi la machine à plisser la soie  fut mise au point pour remédier à la faiblesse du plissage à l’ongle de la soie.  


HOMOLOGATION DE BREVETS

Une vingtaine de brevets furent déposés à l’Office National de la Propriété Intellectuelle à Paris, en voici quelque uns :

-1909 : dépôt de brevet pour un «  appareil pour le plissage des tissus de soie ».  

La technique complexe mêlant la chaleur et l’humidité, était extrêmement efficace. Les robes supportaient d’être roulées en boule, pliées, rangées dans des boites sans nuire à leur tenue. Aussitôt dépliées elles reprenaient leur fière allure originale. Un proverbe dit “qui veut voyager loin  ménage sa monture“, un autre devrait  conseiller de ménager sa garde robe. Pour les grandes voyageuses, ce type de vêtement pratique et élégant est proposée dans une version contemporaine. Issey Miyaké et ses modèles Pleats please, une création dans la ligne de Fortuny, reprend ce qui existait en le réinterprétant avec les fibres synthétiques et en utilisant des techniques modernes de plissage.                                                                                                                                                                                         Avril 1909  : dépôt d’un brevet au nom d’Henriette pour « genre d’étoffe plissée ondulée »         Novembre 1909 : dépôt de brevet fut enregistré pour «  Genre de vêtement pour femme dérivé de la robe antique ».  

Les détails du brevet étaient destinés à  protéger la technique autant que les sources d’inspiration :  la koré de Samos, la statue d’un Aurige découverte à Delphes, le fut des colonnes cannelées des temples grecs. Le brevet décrit la conception du vêtement  « …consistant essentiellement en un fourreau ouvert à ses deux extrémités dont les bords sont rapprochés à la partie supérieure de manière une ouverture centrale d'encolure, deux ouvertures latérales pour les bras et deux ouvertures à bords rapprochés par un laçage s'étendant le long des bras avec des coulisses obliques pour permettre d'ajuster le dessous de la manche. »    Il existe des modèles fermés de chaque coté par une ligne verticale de fibules en verre de Murano teinte de la couleur de la robe. Le modèle séduisit un large public, mais seule une fraction infime de la population fut capable de l’acquérir. Les conséquences du succès populaire furent prévisibles et   copies et contrefaçons abondèrent sur le marché. Le grand magasin les Galeries Lafayette copia et commercialisa en 1913 le vêtement Delphos : il fut reconnu coupable après une procédure qui se termina en 1925.   

UNE MODE CONCEPTUELLE

Identique et pourtant unique, telle est la conception de la désormais iconique robe Delphos. Chaque pièce était identique dans sa conception mais chacune était unique par sa coloration, les détails imperceptibles ou plus visibles comme la forme de l’encolure, la longueur des manches ou  la séparation en deux éléments  jupe et  tunique, elle fut déclinée en  taffetas, satin, velours… Chaque robe devient une pièce unique, puisque qu’elle épouse  les formes du corps de la femme qui la porte. 


UNE NOUVEAUTÉ DANS LE COSTUME OCCIDENTAL HAUT DE GAMME

Ce modèle   proposé en  taille unique, est conçue pour s’adapter aux  morphologies les plus diverses. L’audace de ce modèle réside dans sa quasi transparence qui laissait deviner les contours du corps, sinon le corps lui même dans  les modèles en soie légère. Au début du XX c’est une société  cosmopolite qui séjournaient dans la Sérénissime et c’est précisément   depuis  ce  milieu artistique occidental que les modèles  innovants, voir osés essaimèrent à travers  l’Europe. Cette robe  était  généralement  un  vêtements d’intérieur,  seules les fortes personnalités assumèrent le choix de se montrer ainsi vêtue en public transgressant  les règles de la bienséance. Ce sont des artistes, des courtisanes, des aristocrates  clientes attitrées de l’atelier du palais qui furent les meilleures ambassadrices des créations de Fortuny, elles voyageaient à ravers le monde   habillées par le talentueux magicien de Venise

Isadora Duncan sur les scènes du monde entier dansa au milieu d’une superposition de voiles de soie  qui, semblable à une brume légère, tour à tour la couvre et la découvre au gré de ses mouvements. Sarah Bernhardt  portait des tenues Fortuny à la scène comme à la ville et  il n’est de secret pour personne que ces créations de aient inspirés bien des plumes magistrales.  Cette petite révolution  dans les mœurs annonce  les prémisses d’un style nouveau qui se moque des conventions en  libérant le corps de toutes contraintes. En 1968, les soutiens -gorges  ne devinrent  ils pas des objets de revendication? Décidément la mode est un langage et les vêtements ses mots voir quelque fois des armes muettes mais efficaces! 

-1910 un  brevet  est déposé pour « système pour  teinture et impression de tissus ».  La formule magique de ses teintures n’a jamais été dévoilée. Ce que l’on sait, c’est qu’il utilisait des teintures végétales dont les origines devaient être scrupuleusement respectées pour obtenir le résultat escompté. La subtilité des tons, la douceur des harmonies, résultent d’une gamme très personnelle de matières colorantes. Les  pigments venaient d’Afrique comme l’indigo, la cochenille du Mexique offrait un  rouge carmin, la paille de France se transformait en jaune lumineux et le blanc d’œuf pourri de chine, ingrédient indispensable pour la mixture qui servait de fixateur pour l’or et l’agent, secret de ce lustre si particulier. Pour accentuer les effets, la surface des motifs était polie à l’ambre. Avec une remarquable subtilité des tons, la douceur des harmonies, l’originalité des motifs, une recherche pointue de matières colorantes, la couleur  des peintres vénitiens de la Renaissance est réinventée avec audace et talent. « Et  les manches étaient doublées d’une rose cerise qui est si particulièrement vénitien qu’on l’appelle rose Tiepolo » A la recherche du temps perdu M Proust.

UNE PALETTE COULEUR DU TEMPS….                                                                                                            C’est véritablement dans l’art de la teinture et de l’impression que résident les plus grands succès du duo Fortuny. Chaque pièce est unique du fait du  procédé de la teinture progressive qui implique des ajouts de couches de couleurs successives, assez proche de la technique des glacis des peintres de la Renaissance... La   couleur et la lumière sont étroitement associées dans l’élaboration de chaque pièce. La soie, matière de prédilection, se joue de la lumière grâce à la forme triangulaire de la section de ses fils et, pour accentuer la réflexion de la lumière, sa  surface était recouverte d’albumine. La profondeur des teintes et des reflets changeants furent décrits avec le talent de Marcel Proust dans La Prisonnière (1923) : « le miroitement de l’étoffe, d’un bleu profond qui, au fur et à mesure que mon regard s’y avançait, se changeait en or malléable par ces mêmes transmutations qui, devant la gondole qui s’avance, changent en métal flamboyant l’azur du Grand Canal ».  Bien d’autres brevets furent déposés dont le dôme pliable, un dispositif pour faire varier l’intensité des sources d’éclairage — le premier variateur d’intensité — une nouvelle méthode de gravure des plaques photographiques, etc.

 ET LA BELLE ENDORMIE SE REVEILLA POUR LE PLUS GRAND PLAISIR DES  INSATIABLES CURIEUX                             

La technique brevetée, personne, personne non vraiment personne, pas même un japonais pourtant célèbre pour ses plissés, n'avait réussi à faire aussi bien avec des fibres naturelles. La magie ? La souplesse, la fluidité, la sensualité, le tomber.  Cette  extraordinaire performance est restée cachée dans les dossiers de l’ONPI  et ce n’est qu’en 1984, à l’initiative de Lino Landon, qu’une équipe de techniciens réussit à perfectionner la technique de plissage et le système d’impression manuelle sur des velours et des soies. Cette redécouverte permit la réouverture de l’atelier du Palazzo Orfei qui perpétue la production artisanale de  soieries plissées, velours imprimés, d’objets  décoratifs et fonctionnels dans la tradition de leurs créateurs sous la  marque Venetia Studium. Laissez-vous séduire ne serait ce que par curiosité par la beauté de ces imprimés et la « main » de ces textures, le rêve est à portée de regard!

FIN



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HENRIETTE NIGRIN ET MARIANO FORTUNY AU PAYS DES MERVEILLES N°1

 

Ce premier post de l’année 2022 est un hymne à la puissance créatrice d’un couple d’artistes - artisans qui, en l’espace de quelques décennies, semèrent au gré de leurs intuitions, des motifs, des couleurs, des formes, des idées, tirant la substantifique moelle des pigments naturels, habillant des robes de couleurs impalpables, transformant des surfaces planes et inertes en d’immenses terrains de jeux plissés, imaginant des machines ou encore s’intéressant de près à  l’éclairage scénique. De leur imagination fertile, naquirent des archétypes qui influencèrent le cours de l’histoire du design, des arts décoratifs et de la mode.

 

L’AMOUR DE  L’ART EN HERITAGE

Mariano Fortuny y Madrazo nait à Grenade en 1871 et meurt à Venise en 1949. Très jeune, il perdit son père,  peintre renommé, passionné de musique et collectionneur d’objets et de tissus anciens qui puisa en Orient ses sources d’inspirations. L’enfance de Mariano fut bercée par le souvenir et l’admiration de sa mère pour son mari et, si l’on ajoute que son grand père  maternel avait été directeur du musée du Prado,  qu’une partie de son adolescence se passa entre  Rome, Naples et Paris, le jeune garçon bénéficia d’une éducation artistique à la démesure de son talent.  Cecilia de Madrazo  lui transmit le goût des belles étoffes à travers sa collection étonnante décrite avec une exquise délicatesse par Henri  Régnier dans Altana ou la vie vénitienne.

«   Voici les pesants velours de Venise, de Gênes ou de l’Orient, somptueux et délicats, éclatants ou graves, à amples ramages, à figures ou feuillages, des velours qui ont peut-être vêtu des Doges et des Khalifes. Voici les brocarts aux tons puissants, les soies aux nuances subtiles, voici des ornements d’église et des parures de cour. Voici les charmants taffetas et les luisants satins, semés de fleurettes et de bouquets dont le XVe siècle faisait les robes de ses femmes et les habits de ses hommes. Voici des étoffes de toutes les teintes et de tous les tissus, les uns évoquant la forme des corps qu’elles ont vêtus, les autres en longues pièces et en lés, certaines en lambeaux, en minces fragments. Et tout cela avec des froissements d’ailes invisibles s’entassant, s’amoncelant dans la vaste salle peu à peu assombrie par l’heure, tandis que, penchée sur le profond coffre inépuisable, madame Fortuny semble diriger de son geste magicien l’étonnant concert d’étoffes qui, au fond de ce vieux palais, se joue mystérieusement dans le silence du crépuscule vénitien. »  


L ‘ECCLECTISME EN REFÉRENCE

Cette proximité avec l’univers artistique est perceptible dans la diversité de sa production. Compte tenu de la multitude de ses  talents et de ses centres d’intérêts,  son séjour à Paris dans les années 1880 fut des plus profitables. Il suivit des cours de peinture et étudia, en parallèle, la réflexion de la lumière sur les tissus qu’il mit en pratique en renforçant l’effet visuel des costumes de scène ; il améliora aussi ses connaissances en matière de  photographie. Un vaste  programme qui résume sa carrière. Le commun des mortels reste quelque peu perplexe devant un tel prodige que d’aucuns surnomment le Léonard Da Vinci du XX e siècle. 


CREATEURS DE COSTUMES POUR L’OPERA ET LE THEATRE

M. Fortuny s’installe avec sa compagne et collaboratrice Henriette Nigrin à Venise en 1899 au Palazzo Orfei campo San Benedeto. C ‘est là qu’ils créent  un atelier/laboratoire d’où émergeront des pièces iconiques. Les  débuts sont consacrés à la fabrication de  costumes pour le théâtre et l’opéra, mais avec un vocabulaire stylistique spécifique. La touche personnelle réside dans la   ré-interprétation d’éléments vestimentaires basiques venus d’ailleurs comme le kimonos, le caftan ou le chiton ionien. Dans un premier temps, ces créations furent destinées à  la scène, accentuant les effets d’épaisseur, jouant avec les clair-obscur pour mieux  capter les lumières. Les plus grandes  cantatrices, comédiennes, tragédiennes ou danseuses de ce début de XXe siècle  comme  Sarah Bernhardt, Eleonora Duse, Isadora Duncan ou Loïe Fuller furent habillées voire costumées par Fortuny. Il ne fit pas partie des grands couturiers, mais il fut l’initiateur d’un style. Ses vêtements étaient inclassables et reconnaissables, par un jeu  savamment orchestré entre  la forme et la  matière.  Il parvint à inventer une mode  kaleïdoscope où chacun peut voir ici l’influence hellénistique, là un clin d’œil à la Renaissance. «Make it new »  E. Pound Il fit sienne cette  citation  en réactualisant avec les techniques modernes l’héritage culturel des civilisations passées.  


UN MUSEE A "DEMEURE “

Luxe, calme et volupté peut résumer l'atmosphère de ce palais  légué en 1964 par Henriette à la Sérénissime, à charge pour elle de la transformer en musée Fortuny.

 Je connaissais la robe Delphos, comme beaucoup d’entre vous je pense, mais en visitant cet atelier vénitien,  j'ai découvert un univers, un lieu emprunt de magie, hors du temps, un abri où se côtoyaient un melting-pot culturel, un cercle intellectuel d’amis et clients, tous en quête de nouveautés.  


UNE UTOPIE DANS L’ERE DU TEMPS

L’idée qu’artisanat et industrie pouvaient s’accorder pour produire des articles fonctionnels, beaux et accessibles financièrement au plus grand nombre, avait été initiée par W.Morris et le mouvement art and craft dans les années 1860, idéal reprit ensuite par les membres du Bauhaus. Les Fortuny suivirent cette ligne mais  leur production s’adressait à une élite d’initiés animée par une même passion.


LES SENS EN EMOI

Dire que les créations de Mariano Fortuny et Henriette Nigrin sont éminemment sensuelles est une évidence. Les sensations olfactives se délectent des fragrances capiteuses des lourds parfums exotiques qui se dégagent d’un gigantesque châle Knossos nonchalamment posé sur le dossier d’un fauteuil. L’époustouflante variété de la palette colorée qui s’étale sur les étoffes bleu hirondelle, blanc cygne, gris aube, rouges ensorcelants, roses fanés, magnifiés par un éclairage judicieux est un délice pour les yeux. Mais la vue ne suffit pas à appréhender la spécificité d'un velours, matière qui réclame des caresses et pourtant, le toucher est un sens interdit dans les musées ! L’ouïe ne fait pas la sourde oreille  parce que l’indomptable robe Delphos agite ses mille et un plis au moindre courant d’air, conférant aux lignes verticales un instant statique, d’élégantes ondulations rythmées par les notes cristallines des perles de verre de Murano qui s’entrechoquent avec délicatesse. Les pas des visiteurs résonnent sur le plancher à mesure qu’ils s’éloignent, laissant les habitants de ces lieux se rendormir dans une pénombre irréelle mais très étudiée après, et seulement après, avoir dévoilé avec bienveillance quelques secrets de ces créations intemporelles.


A LA RECHERCHE DU  TEMPS PERDU ET  DU TEMPS RETROUVÉ 

Les résultats fructueux des fouilles archéologues effectuées en Italie, en Egypte et en Grèce a la fin du XIXe siècle et au début  du XXe, les artefacts collectionnés avec une même passion par Mariano Fortuny et sa compagne, influencèrent leur manière de travailler et d’orienter leurs recherches. La verticalité des cannelures du fait des colonnes ioniques, les plis maitrisés du chiton ionien de la statue en bronze de l’aurige de Delphes le plus célèbre conducteur de char de course, furent un point de départ de la robe Delphos. Les motifs décoratifs mis à jour sur les céramiques crétoises s’étalèrent revus et corrigés sur les châles Knossos.

Ainsi, Proust et Fortuny jouent une partition commune, partis à la recherche du temps perdu, ils le retrouvèrent et  le ressuscitèrent chacun à sa  manière.  


DES CREATIONS PLURIDISCIPLINAIRES OU L’ART TOTAL

Intégrer dans une même œuvre le plus grand nombre de techniques et de disciplines artistiques, une approche qui transparait dans ses créations aux multiples usages. Ainsi, les étoffes plissées ou imprimées pouvaient devenir des vêtements ou recouvrir des sièges. Cette conception de l’art, « le tout en un »,  conduit à une sorte d’union des arts définie par Wagner au milieu du XIXe siècle. Elle donna naissance à des mouvements avant gardistes (musique, peinture, architecture) dont les Fortuny firent partie.


UN HOMME ET UNE FEMME

Aux  réussites de Mariano Fortuny, il convient d’associer sa muse qui devint son épouse après 27 ans de vie commune : Henriette Negrin Brassart. Une note manuscrite en marge du document  rend à César ce qui lui revient  « ce brevet est la propriété de madame Henriette Brassart » figure sur le brevet, la reconnaissant comme la véritable créatrice de la robe Delphos, inspirée du chiton ionique de l’Aurige. Ensemble, ces deux artistes curieux et passionnés par les civilisations anciennes, créèrent  leurs propres recettes, mélangeant les influences stylistiques, remettant au goût du jour des pans de cultures anciennes associés aux technologies modernes. « aucun artifice au monde ne peut empêcher la révélation de la source d’une œuvre. Chaque œuvre est un fils qui reconnait son père » Fortuny

"De toutes les robes ou robes de chambre que portait Mme de Guermantes, celles qui semblaient le plus répondre à une intention déterminée, être pourvues d'une signification spéciale, c'étaient ces robes que Fortuny a faites d'après d'antiques dessins de Venise". Marcel Proust.


A SUIVRE

jeudi 6 janvier 2022


LA CIGALINE® SUITE

 QUAND LA MODE EGRATIGNE LA TRADITION

Au  «  fil » des années 60, les créateurs de mode et leurs adeptes feront vaciller les codes vestimentaires. Avec le recul force est de constater que les grands noms de la haute couture furent d'une audace extrême faisant  la part belle aux modèles taillés dans des tissus synthétiques. Dior et Balenciaga, madame Gres adoptèrent la cigaline lui octroyant un passeport d’entrée dans le monde très fermé de la Haute Couture . Marc Bohan en 72 imagina une robe de soirée courte en cigaline parsemée de sequins dorés Cependant  c’est Yves Saint Laurent  qui lui donna l’impulsion nécessaire pour en faire un tissu iconique. 

Les innovations  dans le domaine de la mode  féminine comme dans l’art ou l’architecture ne font pas toujours l’unanimité,    récriminations, moqueries,   scandales  accompagne les collections. L’emblématique ligne  « new look »  Christian Dior  ou  les « nus habillés » de YSL finiront par être acceptés et glorifiés par le prêt à porter. 


LE PASSAGE DE RELAI

 Du tartuffe de Moliere   : « couvrez ce sein que je ne saurais voir, par de pareils objets les âmes sont blasées et cela fait venir de coupables pensées »   à la réplique d’ Yves Saint Laurent « Rien n’est plus beau qu’un corps nu » " tout est dit


TRANSGRESSION EN TOUTE TRANSPARENCE  

Les nouveaux couturiers, sont des créateurs en phase avec cette génération de baby boomer …Ils osent  démocratiser leur marque en  créant des lignes bis.  Le prêt à porter  de luxe attire une nouvelle clientèle par la modernité des offres qui  s’adapte et qui glorifient la diversité de l’offre textile. 


LA BOHEME SE DESOLIDARISE DU POIDS DE LA TRADITION VESTIMENTAIRE 

En 1966 s’avance en catimini  les prémices d’une mode revue et corrigée par des hommes et des femmes de l’age de leur clientes ; les mouvements pronent l ‘amour et pas la guerre,  les stylistes  pronent  les minis jupes   et les maxi imper, les pantalons patte d’éléph et les robes paysannes chic, les nus habillés de YSL viennent enrichir l’image d’une jeunesse qui se cherche et qui à travers les arts, la peinture, la musique, la danse et la mode exprime sa différence avec la générations de leurs parents.


« La haute couture, c’est la matière », déclarait Yves Saint-Laurent au Monde, presque vingt ans plus tard. Cette collection lyonnaise représente à merveille la diversité des matières utilisées pour la conception de pièces toutes plus luxueuses les unes que les autres. Au fil des salles, on s’interdit alors de toucher la mousseline bougainvilliers de Sfate & Combier, la cigaline de Bucol (ce tissu transparent mais résistant alors à base de Nylon dans lequel le couturier taillait ses blouses


Le corps de la femme se dévoile peu à peu et dès 1964, le premier monokini est créé par Rudi Gernreich. Yves Saint Laurent révèle la poitrine féminine en 1966. Cette  première transparence s’appuie sur la subtile transparence de la cigaline et accompagne le  fameux smoking qui fait scandale non pas tant par son  androgynie, mais parce qu'il est porté avec une blouse presque seins nus  Tandis que la femme emprunte les elements mascuien, les hommes mettent des chemises  à fleur puis la mode devient unisxe, aujourd 'hui on dirait dégenré


LE SMOKING ET LA BLOUSE

Cela pourrait être le titre d’une fable et c’est  bien plus : l’image d’une génération en quête d’autonomie Ce binôme issu de l’imagination  créative d’un styliste qui aimait la femme est devenu un standard.  Si l’idée de féminiser un vêtement ouvertement masculin fut diversement accueillie il ne fallait pas s’attendre à ce qu’un voile impudique mettent en valeur les seins féminins sous « couvert » d’une blouse en cigaline fasse l’unanimité. Yves Saint Laurent révèle la poitrine féminine en 1966. Cette  première transparence s’appuie sur la subtile transparence de la cigaline et accompagne le  fameux smoking qui fait scandale non pas tant par son  androgynie, mais parce qu'il est porté avec une blouse presque seins nus ? Le temps à passé, et l’objet du litige semble être bien inconsistant comparé au succès d’estime  qui lui est accordé


Ce pourrait être une fable mais c’est  bien plus, c’est une image révolutionnaire, qui fera date dans la mode au même titre le new look  ou la mini jupe


Et pourtant au XXIe siècle c’est le clou, le point chaud, le tandem gagnant qui s’expose dans les plus grands musées du monde le tailleur pantalon fit mouche, et la transparence sibylline de la blouse à jamais acceptée 


L’ART ET LA MATIERE

Ce dernier va encore plus loin dans sa démarche féministe en créant la robe « see-through ». C’est une robe laissant paraître le buste  à peine masqué par la semi-transparence de la cigaline

 

LA CIGALINE VERSUS MOUSSELINE

La cigaline, si   sa finesse peut rappeler celle de la mousseline de soie  elle se différencie par sa transparence équivoque, sa délicate raideur qui lui octroye un  dynamisme étonnant et son relief qui offre à la lumière l’occasion de s’exprimer sur cette surface chahutée 

La cigaline se différencie d'une mousseline de soie par une présence plus forte, un maintien à la fois arachnéen et une illusion colorée. Difficile à décrire parce qu'elle ne ressemble à rien d'autre. Les premiers tissus chimiques n'avaient pour but ultime que de coller au plus près de la réalité, voire de la dépasser. On touche ici à la perfection. Aller plus loin est possible aujourd'hui ; on n'imite plus, on crée, on sur-crée, on dépasse le rêve, on s'éloigne, on s'enfonce dans un monde technique… Mais laissons un peu de place à la poésie textile, aux infimes imperfections que les machines gomment à jamais. Un tissu hésitant, une étoffe avec quelques goutes d'humanité est-ce encore possible? Oui, si tel est le désir des consommateurs.
Le nylon  est devenu un « must have »  dans l’immédiat après guerre    les bas nylon arrivèrent sur le marché européen. Un bien commode article,  pratique, bon marché et moderne comparé aux bas  de soie. 
La Cigaline pour réaliser le fantasme des « nus habillés » 

La Cigaline, ce tissu synthétique tout en transparence, imaginé par la maison Bucol (encore un atelier lyonnais !) et dont la finesse et le crissant rappellent « les ailes d’une cigale ». Yves Saint Laurent en fit sa matière de prédilection pour ses célèbres « nus habillés » qui, derrière la finesse du voile, révélaient tout de l’anatomie féminine. La matière rêvée pour un couturier qui estimait : « Rien n’est plus beau qu’un corps nu ». En 1966 s’annoncent déjà les prémices de la révolution sexuelle de 1968. En 1966 s’annoncent déjà les prémices de la révolution sexuelle de 1968. Le corps de la femme se dévoile peu à peu et dès 1964, le premier monokini est créé par Rudi Gernreich. Yves Saint Laurent révèle la poitrine féminine dès 1966 avec sa première transparence. Mais, plus subtil, il la couvre de cigaline transparente. C’est la naissance du nude look.


UN JOLI SOUVENIR

Les corps se dévoilent de plus en plus et pas seulement sur les plages avec la création du monokini.  La collection de blouses et de robes baptisée « nus habillé » d’un jeune couturier,  Yves Saint Laurent , aboubé par Christian Dior, surfe sur l’air du temps. Le couturier place ces créations sous le signe de la Cigaline®. C’est sans doute ce nouveau venu dans la gamme de la maison Bucol qui inspira  les modèles « see-through »  au couturier

Le corps de la femme se dévoile peu à peu et dès 1964, le premier monokini est créé par Rudi Gernreich. Yves Saint Laurent révèle la poitrine féminine en 1966. Cette  première transparence s’appuie sur la subtile transparence de la cigaline et accompagne le  fameux smoking qui fait scandale non pas tant par son  androgynie, mais parce qu'il est porté avec une blouse presque seins nus  Tandis que la femme emprunte les elements mascuien, les hommes mettent des chemises  à fleur puis la mode devient unisxe, daujorudh’ui on dirait dégenré



JUSTE UN SOUPIR

Prenons l’exemple d’une eau gazeuse, il en existe des centaines à travers le monde, toutes différentes chacune ayant sa spécificité. Eh bien j’ai trouvé l’eau qui peut faire équipe avec la Cigaline, c’est la Chateldon® l’eau  favorite de Louis xiv avec des bulles d’une finesse extrême qui virevoltent  avec frénésie et remontant à la surface avant d’entrer en contact avec l’air  le temps d’ un soupir. La manipulation d’un métrage de cigaline distille à qui prête une oreille attentive, un son furtif  pareil à un  froissement d’ailes, qui s’éteint  dans un long soupir dès que la main rend sa liberté à l’étoffe  


DES COURTS METRAGES   

La mini jupe de Mary Quant, le monokini de  , des modèles iconiques  qui renvoie à une époque  où la jeunesse devient économiquement une cible pour l’industrie textile.  


UN MELANGE DES GENRES 

Une petite révolution se dessine dans le quotidien de la génération du baby boom :  la silhouette féminine se dévoile petit à petit,  un minimum de tissu pour un  maximum de liberté,  la tenue se masculinise avec l ‘adoption du  jean ce pantalon unisexe,  quant  à  la tenue des hommes elle se féminise avec des chemises à fleurs, et des cheveux longs   


AUDACE HIER , BANALITE AUJOURD' HUI

Proposer des modèles Haute Couture coupés dans un tissu en nylon fut d’une audace extrême dans les années 60   mais aujourd’hui  la présence de fibres synthétiques s'étant banalisée dans ces collections, ce sont les modèles en fibres naturelles qui font figure d’intrus. Le pouvoir des fibres fabriquées par l’homme et ses machines de plus en plus perfectionnées est irréversible, leur utilisation incontournable, leur talent infini, elles sont devenues irremplaçables dans le quotidien comme dans l’exceptionnel     

 LA CIGALINE®

LA RAISON DE LA DERAISON

L’incroyable diversité de verts qui colorent la nature à l’entrée du printemps cède sa place à la fin de l’été à un bouquet tout en nuances chaudes avec des jaunes indécis, des orangés délicats , des rouges profonds, des bruns veloutés, une gamme qui réchauffe l’atmosphère. C’est ainsi, la ronde immuable des saisons bouleverse les paysages, mais dans l’univers des étoffes il en est certaines qui bousculent la raison, qui défient les saisons, qui  révolutionnent la mode en  dévoilant plus qu’en voilant, la cigaline fait partie de cette catégorie.


SE RENOUVELLER POUR EXISTER A NOUVEAU

Dans l’immédiat après guerre, les couturiers  et leur clientèle se satisfaisaient encore de l’offre  des tisserand, liniers , lainiers , soyeux. La tradition du luxe après une période de restrictions, se perpétua certes, mais  certains créateurs ressentir un besoin d’innover qui passerait par un bouleversement des codes au niveau des matières, des coupes. Obtenir des matières textiles plus en adéquation avec leur génie créatif  devenait un tour de force. Certains fabricants perçurent cette demande et  proposèrent de nouveatés dans les matières, les tissages ,  les couleurs,  les imprimés.  La mode  une fois n’est pas coutume, allait entre 1960 et 1970 exprimer ouvertement la hardiesse d’une liberté retrouvée. 

   

L A CIGALINE® DE BUCOL 

1957   la cigaline entre dans les collections du prestigieux soyeux lyonnais Bucol. Ce fabricant depuis sa création dans les années 20 donne une place importante à la recherche au niveau des matières, des tissages, des impressions. La soie oui mais pas seulement, expérimenter les opportunités offertes par les progrès de la technologie des étoffes, apprivoiser les nouvelles matières c’est un principe inscrit dans les gênes de l’entreprise. Le nylon de ses débuts comme succédané de la soie a su conquérir la terre entière devenant un produit aux multiples facettes à la fois sophistiqué lorsqu’il s’agit de la cigaline et basique lorsqu’il s’agit de bas. Cet intrus dans le monde de la soie séduisit par son audace les nouveaux créateurs qui trouverent dans cette insolente transparence un outil à la mesure de leur talent


SOUVENIRS D’UNE MARCHANDE DE TISSUS

Si ce post existe c’est parce que j’ai eu l’occasion de faire la connaissance cette étoffe à l’époque de la boutique De Gilles Tissus. Je n’en parlerais pas ainsi, si je ne l’avais jamais vue, jamais observée, jamais manipulée. Parmi les tissus vintages que qu’il y avait dans les rayons il y avait un  qui venait de la maison Bucol.  La présence de ce petit rouleau à priori sans lien avec les stars lyonnaises m’a toujours intriguée. La seule matière synthétique au milieu des gazar conquérants, des mousselines aérophanes, des riches et lourdes  bengalines , des taffetas  changeants. Sa couleur  si particulière lui donnait un avantage certain sur les autres rouleaux, attirant le regard par sa « cruditié », un  jaune tirant sur le vert, mais pas vert anis ni jaune citron, non, une couleur sortie d'une palette de peintre, un fantôme de pantone improbable qui jurait avec les  classiques off white, les bleus  ciel de Paris, les  rouge gorge de pigeon.  Probablement issu d’ une première mouture sortie des ateliers Bucol et perdue  parmi les soies ! Je me suis dit que je devais partager « les fruits de ma passion »  en l’occurrence le résultat de mes recherches  sur ce  petit bijou, réponse concrète d’un fabricant aux créateurs en quête de nouveautés, désireux de briser les codes de la bienscéance, jusqu’au point de non retour des « nus habillés » de YSL


IMAGINE !

L’imaginaire est ma manière de comprendre les étoffes, de parler chiffon, de m’amuser avec la géométrie de ces innombrables combinaisons d’entrecroisements de fils .Une façon ludique de découvrir des messages subliminaux, de fantasmer sur le fil.  Devenu un collector, ce tissu n'est plus fabriqué. Malgré son délicieux nom, il ne nous reste que son souvenir et encore. 



UNE ETOFFE FACETIEUSE 

Si d’ordinaire, les tissus synthétiques incitent peu à la rêverie, ne réjouissent guère nos sens et encore moins nos papilles, la cigaline fait exception, elle est hypnotique, elle possède une dimension hors cadre. 

Une  fragance estivale

Travailler un métrage de cigaline® c’est comme tenter de toucher un mirage. La « cymbalisation » des cigales mâles, un bruit plus qu’un chant qui parait avec les premières   chaleurs de l’été pour disparaître avec la fraîcheur du vent d’automne. Alors avant que s’évanouisse l’image, en l’espace d’un instant les milles et une subtilités de la cigaline® vont s’offrir aux curieux. Comme par enchantement, en manipulant un métrage de cigaline, les flots odorant des champs de lavande viendront titiller les narines, 

Une mélodie éphémère

Trravaille la cigaline c’est s’octroyer une pause musicale, le froissement de la fibre distille à qui prête une oreille attentive, un son furtif, une  mélodie éphémère pareille à un  froissement d’ailes, qui s’éteint  dans un long soupir dès que la main rend sa liberté à l’étoffe  

Une illusion assumée

Travailler la cigaline c’est tomber dans un piège visuel. Les rides crées par un réglage minutieux  destiné à créer un différentiel de tension entre les fils de chaîne et de trame, confèrent à  la texture un mouvement ondulant , presque rien de palpable, qui ne se révèle sa présence qu’au dernier moment  Les « nus habillés » de YSL,  blouses transparentes débarrassées du carcan du soutien gorge, défilèrent sur les podium en 68 avec une bravade assumée en osmose avec la période insurrectionnelle. Un demi siècle plus tard ne subsiste que l’image de la création artistique.  


UN TISSU PRODIGIEUX AUX  MAINS DES PRODIGES DE LA MODE

Comment se faire une idée concrète d’un article qui ne se fabrique plus, que l’on ne peut voir que sous la forme d’un vêtement vintage vendu aux enchères ou exposé dans les musées ?   On imagine à l’énoncé de sa définition courante un banal nylon cloqué. La nuance, tout est dans la nuance, dans le dosage parfait entre  un crêpe et une mousseline. Le premier confère un relief  et le second offre sa souplesse. Le tour de main, voilà le secret de la réussite de cette recette


UNE TECHNICITE REDOUTABLE

A premiere vue ce pourrait etre un voile de nylon  cloqué,  peut être une  mousseline gonflée de certitude, assurément un tissage aérien doté d'une structure gaufrée qui autorise des formes construites. La technique se rapproche de celle du seersucker   l’effet bosselé est obtenu avec des fils de polyamide de retrait différents en chaine et en trame 

Ce tissu synthétique est si fin qu’il peut être qualifié d’invisible, si léger qu’il  peut être confondu avec un mirage, et sous une apparente fragilité se cache solidité inattendue conférée par  les qualités extraordinaires du nylon  

Le relief imperceptible permet au tissu semble flotter sur la peau en la frôlant à peine.  C’est ce petit rien qui change tout, il suggère par une transparence ambigüe la présence du corps, le grain de la peau peau sans pour autant  tout dévoilée  Ce tissu diaphane  couvre la peau sans la dissimuler totalement, le résultat est conforme à son idée


A SUIVRE