mercredi 27 novembre 2019

Le poids des mots : la richesse du vocabulaire textile s'étiole

Les artisans tailleurs sont de moins en moins nombreux, et ceux qui partent emportent dans leurs bagages, leurs souvenirs et les mots de leur quotidien.

Des mots oubliés derrière lesquels il y avait des "outils" aux utilisations codées.

Un vocabulaire aujourd'hui désuet, qui ne désigne que des produits remisés dans mon musée imaginaire, et pourtant c'était le langage habituel que l'on entendait dans la boutique de fournitures pour tailleurs de mes grands parents, dans les années 50. En 2019 c'est dans un musée que l'on peut trouver ces produits quel dommage pour la confection, les articles s'appauvrissent tout comme

Le gros grain pour la ceinture de pantalon, le bougran pour renforcer les dos de gilets ou pour donner de la tenue au bas de manches, la cingalette pour faire des patrons, la poltaise pour fabriquer les poches, la mignonnette rayée en bleu et blanc pour doubler les manches, et la fameuse toile tailleur "Capella" en poils de chèvre qui grattait et piquait tant, même à travers le tissu. Je n'oublie ni les boutons en corozo avec lesquels j'ai appris à compter en les regroupant par grosse (1 grosse = 12 douzaines, soit 144 boutons) ni les boites rectangulaires en bois brut, pleines de sciure qui se répandait sur le sol lorsqu'on les ouvrait et qui contenaient les craies tailleur, grises, jaunes ou rouges. Une fois vide, j'y rangeai mes crayons de couleurs. J'ai grâce à ce petit univers de quoi alimenter le grenier de mes souvenirs textiles

Voilà aussi pourquoi je pars si souvent en croisade contre le minimalisme du prêt-à-porter. Afin de simplifier le montage d'un vêtement, on se prive de certains détails qui avaient une réelle importance., plus de doublure ou si peu, rarement un bouton de rechange ou de contre bouton, la talonnette est un article oublié. La confection gomme les détails.

Si nous ne voulons pas être fringués ou fagotés été comme hiver, dimanche et jours de fête, sachons nous en donner les moyens. Et pour que demain nous puissions encore nous habiller, nous pârer, nous vêtir et non plus uniquement nous saper, apprenons les mots pour faire exister les fournitures qui donnent corps à un vêtement

dimanche 17 novembre 2019

LE LINON


Vient du mot : lin, son ancienne dénomination était "linomple" du vieux français lin et omple = uni.

A l'origine, comme la batiste il était tissé uniquement avec du lin, aujourd'hui, on en trouve surtout en coton peigné. Dans ce cas, une étiquette doit préciser "linon de coton".
C'est une toile souple, et transparente caractérisé par un espacement caractéristique des fils de trame,  ce qui   la densité du linon entre la batiste plus serrée et la gaze plus lâche). Le linon traditionnel est moins clair que le voile, il emprunte la transparence de l'un, la légèreté de l'autre, il à la main d'un organdi mais pas sa raideur et malgré tous ces emprunts c'est  un tissu spécifique largement apprécié pour ses propres qualités. Les femmes l'utilisèrent volontiers, trouvant dans le linon la transparence juste suffisante et surtout la solidité que ne leur apportaient pas toujours les autres étoffes cousines.
Un moine irlandais qui évangélisa la région du canton d'Appenzell en Suisse, fit bâtir une abbaye à Saint-Gall, sur les bords du lac de Constance. Celle-ci vécut en partie grâce aux bénéfices tirés de la culture du lin. La région se spécialisa bientôt dans la fabrication de linon et de batiste. Son aspect peut être modifié par différents apprêts pour correspondre à différents usages. Si son aspect est lustré, c'est qu'il a subi un mercerisage Au Moyen-Age, le linon était empesé avec de la farine, pour les coiffes.. La qualité du tissage en Suisse, jadis en lin est encore réputée pour les Ces cotons suisses sont souples, brillants, et les dessins sont généralement obtenus par effet de tissage et non par impression.
Le linon est une matière de luxe, sachez l'apprécier lorsque vous en trouvez doux au toucher, aimable à l’œil et pour ne rien gâter agréable à porter, deux ombres à ce tableau idyllique , la rareté du produit  ce qui implique un prix élevé.

Une des utilisations du linon fit beaucoup de bruit à l'époque. Madame de Pompadour et la comtesse Du Barry entre autres, utilisaient un accessoire qui sembla scandaleux à leurs contemporains : un morceau de linon qui servait à se moucher  et qui ne se jetait pas après usage car, étant donné le prix élevé de cet objet très finement brodé et bordé des dentelles les plus fines, les chambrières les donnaient à laver. Il n'y a pas de petites économies même, chose extraordinaire, à la cour de France.
!

Jusqu'au Moyen Age, l'usage voulait que l'on se moucha dans ses doigts
Cependant au temps des romains, le mouchoir était un élément du costume mais son utilisation se limitait à essuyer la sueur du visage ou remplaçait l'éventail (ces dernières utilisations sont encore en usage de nos jours).
Les chinois, eux, avaient déjà des kleenex® ; ils employaient des feuilles de papier de riz qu'ils jetaient après usage.
Si l'apparition du mouchoir dans le costume du Moyen-Age se répand, l'utilisation n'en est pas pour autant celle que nous connaissons aujourd'hui.
L'église en fit un symbole, (le linge que Véronique tendit au Christ sur le chemin de Croix) puis le mouchoir, objet de luxe s'il en fut, eut un rôle décoratif, richement orné de dentelles ou de broderies. Il coûtait si cher que les dimensions furent réduites et que, d'un commun accord, on le retrouva en carré dans de nombreux pays.
C'est aussi l'Eglise, mais anglicane cette fois qui fit grand cas du linon. Le linon est utilisé pour les manches des surplis des évêques anglicans En Grande Bretagne cette étoffe est appelée lawn probablement parce que les premiers linons furent importés de Laon grand  centre textile français.

Le mouchoir a son langage : agiter son mouchoir (classique sur le quai de la gare), accrocher son mouchoir à la fenêtre (signe de méfiance, attention traquenard, je suis surveillée),  faire tomber son mouchoir (très romantique), faire un nœud à son mouchoir (se souvenir de, ne pas oublier..).

Autrefois, tout comme le linge de table, le nombre de mouchoirs qu'il était normal de posséder, était impressionnant. On raconte que Brumell, chef de file des élégants au XIX e siècle en comptait plus de 50 douzaines. Chose curieuse, les mouchoirs se vendent toujours à la douzaine, sauf cas particulier de pochette-mouchoir assortie à une cravate, ou de fines étoffes superbement brodées, ou monogrammées.

Les fils de lin des mouchoirs "en linon"  sont si fins qu'il est impossible de les filer et de les tisser mécaniquement, ils ne supporteraient pas le traitement et la rupture serait immédiate. Jusque dans les années 1950 ils étaient encore tissés à la main, par des artisans de la région de Cambrai d'où leur dénomination commerciale : "fil de main"   et huile de coude… 
Si le linon ou fine batiste, le lin ou la soie font de luxueux mouchoirs, les grands carreaux de Cholet sont aujourd'hui caractéristiques des mouchoirs d'hommes généralement plus grands que ceux réseRvés aux femmes (ces derniers sont plus jolis, ornés de dentelle, ou brodés). Venue des U.S.A., l'utilisation de mouchoirs en ouate de cellulose est de plus en plus développée en Europe. Côté hygiène, cela semble moins archaïque.
Les mouchoirs précédemment décrits sont dit "de poche" ; il en existe de cou se sont les "bandanas", ou de tête  les madras aux Antilles.

Pour les serviteurs de l'église la manipule fut un élément du costume ecclésiastique. Cette bande de fine étoffe blanche, que le prêtre porte sur le bras gauche pendant l'office et qui lui permet d'essuyer la sueur de ses mains et de son visage, était en linon

Lingerie féminine, vêtements d'enfants, chemises d'été fraîches et légères, mouchoirs , le linon peut aussi être utilisé pour des voilages.

mardi 12 novembre 2019

plaidoyer pour les fibres textiles naturelles



Les fibres textiles naturelles sont chargées de l’histoire du monde elles constituent une part de la mémoire d’une civilisation, d’un peuple, de l’homme.
Les fibres chimiques sont nées de l’irrésistible envie que l’homme a eu d’imiter, de dépasser, et si possible d’améliorer les trésors que la nature lui offrait. Si ces fibres « récentes » fabriquées par des machines de plus en plus perfectionnées n’ont qu’un passé très présent, elles ont en revanche un présent très futur car elles ont su se rendre indispensables. Il serait impossible au XXIe siècle de vêtir la population mondiale avec les seules fibres naturelles, la production serait très insuffisante. Alors bien sûr nous avons besoins de ces suppléments vestimentaires.
Il est difficile d’imaginer vivre dans un monde d’où les fibres chimiques seraient absentes, en revanche la vie serait possible, mais bien terne dans un monde privé de fibres naturelles.
Si le coté fonctionnel prime dans la famille des fibres chimiques, la famille des fibres naturelles est dotée d’un arsenal bienveillant qui régale nos sens : l’oreille perçoit le son mat d’une cotonnade que l’on déchire, le regard est attiré par les reflets métalliques de la lumière sur un taffetas de soie, l’odeur d’un pull over en laine mouillée par la pluie persiste dans notre mémoire, la main instinctivement va caresser une panne de velours de soie…
Malgré toutes les progrès de la technique, malgré les qualités indéniables des fibres chimiques comment une toile de nylon pourrait égaler le contact délicieusement frais d’une toile de lin, comment comparer l’extrême délicatesse d'un tricot en angora à celle d'une maille acrylique, la divine émotion d’une impalpable mousseline de soie n'a que de bien lointains liens avec l'émotion procurée par une mousseline polyester.
Dans les sociétés industrialisées porter des articles textiles fabriqués à partir de fibres naturelles est un luxe, voir un privilège .
Au fil des ans, l'offre de vêtements et de tissus en fibres naturelles se réduit au profit d'articles en fibres mélangées ou chimiques et si nous n'y prenons pas garde, ils disparaîtront de notre univers textile faute de clients.
Alors profitons de l’instant, usons et pourquoi pas abusons de laine, de soie, de lin ou de ramie et de tous leurs amis pendant qu’il en est encore temps