lundi 16 février 2015

LI EDELKOORT OSE DEFIER LE MONDE DE LA MODE ET ELLE A RAISON

Avec son manifeste anti -mode Li Edelkoort,  fait voler en éclat un univers superficiel. Si les stylistes, les journalistes, les enseignants en prennent pour leur grade, c'est peut être un bienfait, pour la mode et surtout pour les clients. Voici le texte, à méditer!
Lidewij Edelkoort : « La mode est morte. Vive le vêtement ».
La consultante en tendances tient à préciser d’emblée, comme pour s'excuser : « J’aime la mode, Passionnément. » Elle n’avait pas vraiment besoin de nous le rappeler : en 2008, le time magazine ne l’avait pas nommé sans raison comme l'une des 25 personnes les plus influentes de la mode. Tout le monde s’accorde aujourd’hui pour affirmer que la voix de Lidewij Edelkoort porte loin : le succès, jamais démenti, de ses revues View on Colour et Bloom atteste la richesse de ses propositions créatives ; quant aux cahiers de tendances destinés aux industries mode et textile, design, décoration d’intérieur, beauté et bien-être, qu’elle conçoit personnellement tous les six mois, ils sont mondialement distribués.
Notre fashion system set complement obsolète.
J'aime la mode et pourtant, je ne pouvais pas ne pas écrire ce texte, intitulé "anti-fashion" continue t elle. Ce manifeste professionnel c'est la constatation qu'un changement radical s'est opéré dans  la mode qui rend le fashion system actuel complètement  obsolète. Cela commence par l'enseignement. Les écoles et les académies de mode continuent d'enseigner aux jeunes étudiants à devenir des designers de podium, des divas. On continue à leur faire croire que la mission qui les attend est de devenir une personnalité hors normes, que personne ne pourra jamais égaler. En d'autres termes, les écoles continuent d'enseigner le principe de l'individualité farouche à des jeunes dont l'environnement, à l'heure des réseaux sociaux, est désormais basé sur le partage, sur la création en commun. De facto, l'enseignement de la mode est donc démodé.
Un monde sans intérêt pour le textile
" C’est finalement la première fois dans son histoire que la mode, censée être en avance sur son temps, n’est pas capable de réagir à son époque ", martèle la prévisionniste. On enseigne aux étudiants à devenir des petits Karl, à créer des vêtements, des sacs, toutes sortes d’accessoires pour les autres, à s’occuper du défilé, des catalogues, de la communication, de la photo. Tout cela en trois ans. Et dans ces trois années d’enseignement au final, il n’y a plus beaucoup de temps consacré aux vêtements qui ne sont plus qu’une donnée parmi de nombreuses autres ». La situation des ateliers qui ont été sacrifié sur l’autel de la mondialisation rend encore plus difficile l’apprentissage des techniques : « ce qui fait qu’aujourd’hui, on en arrive à former des fashion designers qui ne connaissent pas le tissu, qui ne savent pas comment fonctionne le textile, ni comment réagit la fibre. Bientôt on ne connaitra plus que la popeline et le jersey pour le reste de nos vies. C’est terrifiant». D’ou l’intérêt, au passage, de proposer à ses clients un nouveau cursus d'études permettant une meilleure compréhension des mécanismes inhérents aux tissus de la saison.
La presse aussi en prend pour son grade avec des remarques cinglantes concernant le manque d’éducation générale des rédactrices modes : « on a vu par exemple dans des magazines très importants comme Vogue ou Marie-Claire, des annonces triomphales se réjouissant du retour des imprimés. Faites vos devoirs, mesdames les rédactrices, et ne parlez plus d’imprimés quand en fait, il s’agit de jacquard. »
Le reste du manifeste est dans la même veine : l’opinion publique qui doit être alertée sur le fait que les vêtements peu chers (qui - comble du ridicule - copient désormais les codes du luxe) manufacturés dans des pays où la main d’œuvre est exploitée, a du sang sur les mains ; la perte d’intérêts qui en découle pour les savoir-faire locaux, l’attitude irresponsable des médias qui prônent comme une panacée le fait de ne jamais porter la même tenue deux fois ; le fait que les designers sont poussés par le marketing à considérer désormais le vêtement comme un simple accessoire au services des autres accessoires, comme les sacs et les chaussures. « Quand vous faites la liste, il n’y a plus de créateurs qui créent véritablement de la mode. Tout simplement, parce que le marketing a tué l’industrie de la mode en la surexploitant, en faisant vivre aux designers un stress infernal (ils doivent tout faire) où leur originalité est immolée à la recherche constante du slogan, en saturant le marché de produits faits pour créer de belles images conçues pour être « likées » (afin de vendre du parfum), au détriment de vêtements faits pour être portés».

Et les consommateurs dans tout ça ? Lidewij Edelkoort a la pressentiment que les nouvelles générations ne ressentiront plus besoin de posséder seules l’intégralité d’une garde robe exponentielle. Elle cite l’exemple de jeunes clientes chinoises qui n’ayant pas assez d’argent pour acheter la pièce rêvée à La Petite Robe Noire, décident sans hésitation de l’acquérir à deux. Et de vanter les projets à priori un peu fous comme l’habibliothèque à Paris, qui offre la possibilité (tout en luttant contre la fast fashion) d’emprunter des marques créateurs à un budget accessible. Conclusion : « les vêtements seront la réponse au fashion system qui s’est déréglé. Analyser et conceptualiser une tendance n’aura plus d’intérêt que si on le fait d’un point de vue anthropologique et humaniste, que si on revient aux fondamentaux de la ‘couture’ avec son noble intérêt pour le tissu et la ‘facon’ tels que nous les scrutions avant l’invention du prêt à porter. C’est la raison pour laquelle la présentation de ce soir (et celles à venir) ne parleront plus de mode - un concept qui n'a plus de raison d'être aujourd'hui - mais de vêtements ».

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