EN FRANCE : LA REVOCATION DE L'EDIT DE NANTES ET SES CONSEQUENCES SUR L'ECONOMIE TEXTILE
1685, date fatidique. La liberté de culte est désormais interdite dans le royaume de France. La religion catholique est la religion d'état à l'exclusion de toutes les autres.
LES HUGUENOTS : EXIL ET CONSEQUENCESLes huguenots sont les premiers visés par cette loi, cependant les prémices se sont fait sentir bien avant son application. De fait, ils furent nombreux à quitter le pays avec leur famille sans attendre la mise en application de ces mesures. Parmi eux, beaucoup de commerçants et d'artisans, notamment des tisserands. Ils s'exilèrent dans des pays à majorité protestante, voisins de la France comme la Suisse, les provinces unies des Pays Bas, l'Angleterre, la Prusse.LE TRANSFERT DE SAVOIR -FAIREQu'ils soient vignerons ou tisserands, les huguenots exilés emportent avec eux un savoir faire qu'ils partageront avec les populations des pays d'accueil.La France se privait ainsi volontairement d'une richesse créative et de la capacité de ces hommes à faire prospérer l'économie.Si les incidences de cette politique furent économiquement et culturellement désastreuses pour la France, elles furent bénéfiques pour les pays d'accueil. Ainsi des régions "textiles" comme la Normandie, avec des centres textiles comme Elbeuf ou Louviers se virent coupés de leur principale ressources lorsque les maîtres artisans et leurs ouvriers protestants, furent contraints de quitter le pays. La production suffira à peine à satisfaire la demande locale. Il faudra du temps pour que cette industrie reprenne le chemin du succès.Aujourd'hui encore, les séquelles de ce décret sont visibles : Saint Gall en Suisse, Spitafield en Angleterre, pour ne prendre que ces exemples, se sont développés grâce à l'arrivée de tisserands et d'entrepreneurs huguenots.EN FLANDRE : LES GUERRES, LES ALEAS CLIMATIQUES, LES EPIDEMIES, LES LUTTES RELIGIEUSES ET LEURS CONSEQUENCES SUR L'ECONOMIE TEXTILEEntre le XVIe siècle et le XVIIIe siècle, les guerres incessantes (guerre de cent ans, guerre de trente ans), les aléas climatiques récurrents, les luttes religieuses et les épidémies vont contraindre de nombreux protestants flamands à émigrer dans un premier temps vers des villes proches des Flandres comme Anvers ou Amsterdam, puis plus loin vers Londres ou encore Dublin
inondations après inondations le rendement des terres des Pays Bas était faible |
Si l'on s'en réfère aux sources étymologiques, flandre vient de "flam" qui en ancien germanique signifie "endroit inondé". Rien de surprenant donc à ce que ces basses terres soient souvent sous les eaux.
ANGLAIS/FLAMANDS : UNE COHABITATION HISTORIQUELes flamands tissèrent des liens avec la population anglaise bien avant cette période troublée que fut le XVIIe siècle. Des éléments tangibles permettent d'affirmer que l'installation de tisserands flamands est largement antérieure aux grandes vagues d'émigrations économico-religieuses. Dès le XIIe siècle, des artisans"pionniers" furent invités "officiellement". Ils ont ainsi préparé le terrain pour les générations suivantes qui seront contraintes à l'exil elles aussi.
UN EQUILIBRE ECONOMIQUE.D'abord, les éleveurs anglais n'étaient pas des tisserands. Les troupeaux appartenaient soit à des paysans, soit à de monastères. La viande et la laine constituaient une source de revenus indispensable pour la vie des ecclésiastiques.La laine brute, et parfois même les peaux, étaient expédiées par bateau vers les Flandres. La laine était (bien) filée et (bien) tissée par une main d'œuvre expérimentée.Le drap de laine était la spécialité des flamands tout comme la popeline de Poperinghe. Le tissu était réexpédié vers l'Angleterre pour les finitions et la teinture. Les drapiers se chargeaient de la commercialisation, puis les tailleurs de la confection de vêtements.UN EQUILIBRE PRECAIREDans un premier temps, les filatures et les manufactures de "dras" se développèrent en Flandre grâce aux anglais. Le travail était partagé, les uns produisaient la matière première que les autres transformaient. Puis dans un second temps, sous couvert de venir en aide aux réfugiés, les anglais vont "vampiriser" leur savoir faire et se le réapproprier.ACCUEIL CONTRE SAVOIR FAIRECe "troc" va perdurer durant quelques siècles, surtout à l'avantage de l'Angleterre.Au XIVe siècle, le roi Edouard III d'Angleterre qui avait épousé une princesse flamande, Philipa de Henault, modifia le système économique que son royaume entretenait avec les Flandres. Il imagina un "deal" plus avantageux pour l'Angleterre.Il n'eut de cesse de développer l'industrie textile en Angleterre. Pour cela il employa des moyens incitatifs. Des tisserands flamands furent "courtisés". Les privilèges furent accordés aux étrangers qui vinrent s'établir en Angleterre, et l'assurance de trouver du travail attirèrent les candidats. En contre-partie, ces derniers devaient partager leurs connaissances avec les artisans anglais, autrement dit les former au métier de tisserand.L'INTEGRATION DES "STRANGERS"Les premiers "strangers" nom dont les émigrés flamands étaient affublés dans le Norfolk, eurent quelques difficultés à s'intégrer parmi une population méfiante, inquiète et jalouse de l'importance que prenait ces nouveaux venus au niveau de l'économie locale. Pour calmer les révendications des autochtones effrayés par la haute qualité du travail des réfugiés, une loi fut promulguée autorisant les tisserands huguenots à pratiquer leur art à condition d'employer une main d'œuvre locale.
UNE MAIN D'ŒUVRE QUALIFIEE EST NECESSAIRELa fabrication de drap de laine se fait en plusieurs étapes qui demandent une main d'œuvre qualifiée. Le développement du secteur textile dans des villes comme Norwich vont créer des emplois. Ce sont de nouveaux métiers que les flamands vont faire découvrir aux anglais. Il y a du travail pour les hommes et pour les femmes. Les démêleuses de laine, les ourdisseurs qui préparent la chaîne pour le tissage, les tisserands, les tondeurs (qui coupent le poil de l'étoffe au ras de la surface, les foulons dont l'action est indispensable pour obtenir un drap de laine les rentrayeurs, les teinturiers...
Les principales villes dans lesquelles les flamands s'installèrent sont Worsted et Norwich.Ici plutôt qu'ailleurs, parce que d'autres les avaient précédés, parce que la distance entre les côtes flamandes et les côtes anglaises est inférieure à 200km…
la région est située au nord de Londres, face aux côtes flamandes |
et aussi parce que les moutons du Norfolk produisaient une grande quantité de laine recherchée pour ses qualités : fibres longues, fines et brillantes.
race de mouton du Norfolk |
L'EFFET VASES COMMUNICANTS : LES UNS GAGNENT, LES AUTRES PERDENTLa politique économique du roi Edouard III fut une réussite pour les britanniques mais elle mit en péril les manufactures flamandes. Les artisans anglais, grâce à l'aide des tisserands flamands, vont exceller dans le domaine du tissage. Les flamands regrettèrent que certains d'entre eux aient répondu à cet appel, car ils durent faire face à une baisse des commandes, les importations de lainages anglais dépassant rapidement les exportations de lainages flamands. A la même période, les manufactures flamandes périclitent, alors qu'en Angleterre elles prospèrent.L'Angleterre se désengagera petit à petit du quasi monopole des Flamands sur le commerce du drap de laine, prenant à son tour le contrôle du commerce de la laine de A à Z c'est-à-dire de la matière brute au vêtement. Cette mesure permettra aux anglais de réduire drastiquement leurs importations.UNE TRANSITION REUSSIE : D'UNE ECONOMIE AGRICOLE A UNE ECONOMIE INDUSTRIELLEAu XVe siècle, sous le règne du roi Edouard IV, une loi fut promulguée interdisant l'importation de drap de laine en provenance des Flandres et l'exportation de la laine brute vers les Flandres, ce qui eut pour conséquence un développement du secteur textile en Angleterre. Depuis cette époque, la renommée de la draperie anglaise ne s'est jamais démentie : Savil Road en est la preuve.Les conséquences pour les flamands furent tout aussi importantes. Une rupture d'approvisionnement et une perte de clientèle. Pour y remédier, les flamands s'approvisionnèrent en Espagne, qui possède de nombreux troupeaux de moutons mérinos. Ainsi chacun tire son épingle du jeu, avec plus ou moins de succès. Les espagnols gagnent une clientèle flamande, les flamands ne seront plus à la merci des actions politico-économiques des anglais.DE LA POPELINE DE POPERINGHE A LA POPLIN BRITANNIQUEAu XVIe siècle, la Reine Elizabeth prenant exemple sur ces prédécesseurs poursuivit leur politique économique. Une invitation officielle fut envoyée à des tisserands flamands ; il en restait encore. Une trentaine de tisserands protestants s'installèrent à Norwich, une échappatoire pour ces familles soumises à la famine, les inondations et les persécutions religieuses.Tous les artisans flamands n'émigrèrent pas puisque la tradition du tissage de la laine perdura encore longtemps dans les Flandres, avec la laine espagnole. Duffle, ville emblématique du fameux tissu utilisé pour les duffle coat.LA GRANDE BRETAGNE TROUVE SON AUTONOMIE TEXTILEAu XVIIeme siècle, les pays à population majoritairement protestante furent des lieux d'asile pour les huguenots et les protestants flamands. Cette fois, ce sont des milliers d'exilés qui affluent. C'est probablement la Grande-Bretagne qui fut la grande gagnante économiquement de ces transferts de population.Si les flamands avaient enseigner aux anglais l'art du filage et du tissage de la laine, les huguenots venus du Comtat Venaissin créèrent à Spitafield un pôle textile centré sur le travail de la soie. Les anglais vont être à même de subvenir à leurs besoins en matière de soierie. Résultats : un développement du commerce des tissus de laine et des soieries, et accroissement des exportations vers les anciens pays fournisseurs. Conséquences : réduction des importations des lainages flamands et des soieries françaises et notre "fil conducteur" la papeline qui devient poplin en Angleterre.
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