mardi 5 juin 2012

A TABLE AVEC NOS ANCÊTRES

A TABLE!
 " Le plaisir de manger à écrit Brillât Savarin dans sa Physionomie du goût, nous est commun avec les animaux... Le plaisir de la table est particulier à l'espèce humaine."


Cet art fait appel au toucher, à l'ouïe, à l'odorat et à la vue. Tous les sens sont en émoi pour nous permettre d'apprécier les "arts de la table".
A partir de la Renaissance la table devient un symbole d'apparat,  elle permet à l'hôte d'étaler ses richesses devant ces invités.

HISTOIRES PEU BANALES DE CHOSES BANALES
 Table, chaise, assiette, tous ces mots que l'on emploie quotidiennement, tous ces articles présents dans notre environnement sont devenus invisibles, et pourtant ils ont une histoire. Voici  en quelques lignes des aventures d'objets qui je l'espère vous feront prendre conscience de leur importance. En effet sans eux la vie serait beaucoup moins confortable.
Il est des  expressions   que l'on utilise sans même se demander ce qu'elles signifient.  Alors  découvrons ensemble  leur origine.

DRESSER OU METTRE LA TABLE

Que signifie l'expression "dresser la table" ?  On pourrait dire installer la table parce que au Moyen-Age ce meuble en tant que  tel, " n'existait pas.  L'usage des  pièces à usages multiples se maintient jusqu'au XVIe siècle. Avant aucune pièce de la maison n'était destinée à servir de lieu au repas

La table  que nous connaissons est un élément qui fait partie du mobilier Occidental. En Asie ou en Orient, ce meuble tradionnellement n'est pas courant, la salle à manger non plus.

METTRE LES PIEDS SOUS LA TABLE
Si aujourd'hui cette expression signifie, ne pas  aider ou ne pas participer à l'élaboration du repas et de la mise en place du service, on peut imaginer qu'à l'origine, il s'agissait de s'asseoir sur le banc autour d'une table déjà montée et mise, sans avoir participé à son élaboration. Les convives d'un banquet arrivaient pour se mettre les pieds sous la table, c'est aussi dire qu'ils étaient assis, car nombres de repas au Moyen Age se prenaient debout.

DÉMONTER OU (se ) DEBARRASSER LA TABLE
Au Moyen Age il n'y avait pas de place définie pour prendre les repas, c'est pourquoi on montait  ou plutôt on dressait une ou plusieurs planches de bois sur des tréteaux  Après le  festin, la table était démontée et rangée jusqu'au prochain repas. Ces meubles sont fonctionnels ils répondent à un mode de vie, et ils  existeront tant que la cour ne sera itinérante D'ailleurs si l'on cherche plus loin , l'étymologie du  meuble signifie mobile du latin mobilis, de movere = mouvoir, et de movibilis qui peut être déplacé. A contrario, l'immobilier est fixe, immobile
 .
Bien entendu, il s'agit d'intérieurs seigneuriaux et royaux dans lesquels les repas se prenaient, tantôt dans la chambre, tantôt dans la grande salle,  et l'hiver,   de préférence près d'une cheminée. 
Dans les chateaux, ou tout au moins dans les demeures seigneuriales, les repas réunissaient toute la famille et plus parfois. La solution de mettre bout à bout plusieurs planches sur des tréteaux était parfaite. Ensuite pour camoufler ce mobilier rudimentaire, il suffisait de recouvrir le tout avec un linge. Du latin mappa= serviette
Aujourd'hui on ne démonte plus la table  mais on la débarrasse c'est à dire que le plateau est vide, on retire tout les reliefs du repas, on fait place nette, mais la table demeure. Parfois le passé revient, et la table peu être à transformations : de table à manger, elle devient console, ou bureau. Notre société semble avoir  oublié ses repères historiques.
Nouvelle la façon que nous avons d'acheter des meubles en kit et de les monter soit même? Nouvelle l'idée de pouvoir se débarrasser d'une table encombrante en la pliant? Nouvelle l'idée de proposer des assiettes jetables aux convives lors de receptions? Nouvelle la manière de manger avec les doigts dans les fast food? Allons donc, revoyons notre histoire!

TEL EST LE BON PLAISIR DU ROI
Le Roi Louis XIV, lorsqu'il dînait seul, faisait dresser la table dans sa chambre. Jusqu'au XVII e siècle, la table fut dressée n'importe où selon le rang des invités et les saisons ainsi on passera de la cuisine à la grande salle devant la cheminée en hiver ou bien au jardin par un beau soir d'été. 
La salle à manger telle qu'on la connaît aujourd'hui, la pièce où se tient une table en permanence, n'apparaît qu'au XVIII e siècle, exception faite du réfectoire dans les monastères, lieu exclusivement réservé aux repas
Ne vous laissez pas tentez par une salle à manger Louis XIII, à cette époque il n'y en avait pas. Il y avait bien sûr des tables mais elles tenaient d'avantage du bureau.

REMINISCENCE DU PASSÉ
On a tendance aujourd'hui à revenir à l'idée d'une salle à manger mobile. Dans les villes surtout, les appartements étant souvent petits, il n'y a pas toujours de pièce réservée aux repas et les tables pliantes ou transformables (soit à rallonges, soit en console) ont fait leur apparition. On dresse de nouveau la table dans un coin du salon lorsque l'on reçoit et le reste du temps, la famille déjeune et dîne dans la cuisine.
Mais dans l'un et l'autre cas, avec des assiettes, des couteaux, des fourchettes, des cuillères et des serviettes. Notons l'exception des "livraisons à domicile" des pizzas, sushis et autres spécialités qui se dégustent avec les doigts ou des baguettes. La serviette est alors indispensable.

LES BANQUETS  
Le mot banquet remonte aussi au Moyen-Age. A cette époque les convives s'asseyaient d'un seul côté de la table sur un long banc et chacun d'eux possédait  une cuillère et une écuelle qui servait pour les mets liquides (bouillons, sauces, crèmes).


VINS ET CHANSONS
Comment se déroulaient les repas en Europe au Moyen-Age ?
La littérature de cette époque est une source inépuisable de détails quant aux habitudes hospitalières et culinaires de nos ancêtres ; la peinture, les manuscrits, les enluminures, les illustrations sont aussi précieuses pour leurs descriptions des banquets.

La table était recouverte d'une nappe, mais la différence n'est pas bien grande entre les banquets antiques et les réceptions de ce temps
 A part le service de table, les convives mangeaient toujours avec les doigts : ni assiette, ni fourchette, ni couteau (réservé souvent à l'office, les rôtis arrivant souvent déjà tranchés).

Le service était long, le nombre de mets impressionnant et les troubadours, trouvères et autres artistes de passage agrémentent de leur poésie ces longues soirées.
Aujourd'hui, les  repas de fêtes (noces, naissances) finissent souvent   par des chansons...
Mathurin Regnier, poète français célèbre pour ses écrits satiriques et imagés (1573 à 1613), nous décrit un banquet sous le règne de Henri IV : "(…) sur ce point on se lave et chacun en son rang se met sur une chaise, ou s'assied sur un banc suivant, ou son nom, ou sa charge, ou sa race."

PORTER UN TOAST
La cour de Henri IV n'égalant pas celle des Valois en ce qui concerne l'étiquette, vous ne vous étonnerez pas de ce qui suit :
Durant le repas, on se défie souvent à boire. On se porte des "santés" auxquelles il faut répondre. C'est encore ce qui se produit aujourd'hui si une personne offre une tournée générale, il est très impoli de ne pas faire la même chose.
Autrefois, la coutume voulait que l'on dépose au fond du verre une croûte ou morceau de pain grillé, rôti, touster ou tasté qui vient du verbe torrere. Toute l'assemblée boit dans le même verre ou timbale, qui passe de mains en mains et de bouche en bouche, jusqu'à arriver au convive en l'honneur de qui on boit, si l'on s'en souvient encore. C'est lui qui finie la coupe et qui mange la tosté. De là l'expression bien française que l'on imagine souvent britannique "porter un toast".

DU VAISSEAU A LA VAISSELLE, DE L'EXCEPTION AU QUOTIDIEN
.La nef était un objet occidental très présent à l'époque médiévale sur les tables royales et princières. A la Renaissance  il devient une pièce maîtresse des arts de la table. Cette pièce d'orfèvrerie aux allures de vaisseau, est un fait un coffret dont le couvercle représente au pont d'un bateau et le coffre figure  la coque. C'est l'écrin qui renferme le nécessaire du prince, c'est à dire ses couverts individuels. La cuillère, le couteau, la fourchette et le cure dent. Mais cette boite sert également à marquer la place d'honneur.
C'est  aujourd'hui l'ensemble  des plats et des couverts qui servent à l'usage de la table Et voilà comment du vaisseau amiral nous arrivons au train train quotidien. 

A partir du XIV e siècle les convives des tables royales disposaient d'un tranchoir, plaque de métal sur laquelle on posait une grosse tranche de pain rassi. Les viandes étaient servies sur le pain que l'on renouvelait pour chaque plat (l'ancêtre du "Mac Do" ?).  Après les plats de viande, le pain imprégné de sauce était changé et quelquefois dans les grandes maisons, distribué aux pauvres après le repas. Ceci est valable pour les seigneurs ou les princes.

ETRE OU NE  PAS ÊTRE  DANS SON ASSIETTE




Le tranchoir se transformera en assiette. Il suffira de relever les bords de ce cercle plat. Les premières assiettes étaient en métal (or, argent, vermeil, étain) puis en céramique, en faience
Le service de faïence ne date que du XVII e siècle. Importée d'Italie avant la création de manufactures en France. C'est Henri IV qui donne des statuts à la corporation des faïenciers. Après 1600, les premiers services de table complets vont apparaître.
Le mot "assiette " désignait la place où le convive devait s'asseoir. Encore aujourd'hui, l'assiette désigne une manière d'être assis, l'assiette d'un cavalier par exemple. Lorsque le tranchoir fut remplacé par cet élément indissociable des arts de la table, ce plat individuel prit le nom d'assiette et marqua sur la table la place du convive.



En Inde, il n'est pas rare d'avoir en guise d'assiette, à une feuille de bananier ;  on mange t avec les doigts et seulement de la main droite puisque, de l'autre, ils tenaient l'assiette".  Cette façon de faire n'est pas très éloignée des assiettes en carton qui nous sont proposées lors d'une Garden Party par exemple.
Les choses évoluent certes, mais ne tournons-nous pas en rond quelquefois ?

METTRE LES PIEDS DANS LE PLAT
Curieusement, cette expression n'a absolument rien à voir avec le plat de service. Elle date du XIXe siècle, et signifie marcher dans une étendue de sable à marée basse, ou patauger dans la boue. Lorsque l'on foule les fonds plats, les pieds troublent l'eau qui s'y trouve. Le sens premier semble avoir été: agir avec un manque de diplomatie


















 LES CODES ONT CHANGÉ HEUREUSEMENT.
Tout comme le vêtement, les rituels des arts de la table marquaient l'appartenance à une classe sociale
Chez les grands du royaume, la vaisselle est d'argent ou d'or, parfois en vermeil.
"Quelle sorte de vaisselle ont les évêques ? Ils ont de beaux et grands dressoirs d'or et d'argent, des pots et des flacons. Et les pauvres ? Ils ont des tranchoirs de pain qui demeurent sur la table."
Les Vigiles de Charles VIII par Martial de Paris
 Chez les bourgeois point de vaisselle d'or, d'argent ou de bois mais des pièces en étain
Chez les paysans, la table était en bois et la tranche de pain rassi qui servait seule de support aux mets, était posée à même le bois de la table.  Puis l'écuelle de bois remplaça le tranchoir, mais l'usage voulait qu'on la partage à deux.

DANS UN FAUTEUIL (!)
La lignée du fauteuil remonte au francique : faldistôl qui se traduit par siège pliant,  le vieux français le transforme en faldestoed , puis faudestuel au XIIe siècle. c'est une sorte de trône, réservé aux personnes de haut rang, devant lesquelles on déroule aussi le tapis rouge.
Un siècle plus tard on retrouve ce siège avec des accoudoirs et un dossier dénommé faudestueil. Fauteuil sera inscrit dans l'inventaire des meubles de Catherine de Médicis. 

Siège pliant, facile à transporter ;  le langage populaire lui a donné le sens de faux ( fault esteuil) avant de lui rendre son honneur dans le mot "fauteuil" ou commodités de la conversation pour les précieuses parfois ridicules



















ON LOUE TOUT
Lorsque l'on ne possédait pas de vaisselle, de nappes ou doubliers, de touailles ( qui donne en anglais towel) ou serviettes, il était facile d'en louer tout comme les meubles (carreaux, coussins, fauteuils, tables composées d'une planche et de tréteaux)
On louait aussi les salles, et l'on pouvait se faire livrer la nourriture ; en fait les choses n'ont pas changé tant que cela et le métier de traiteur serait il aussi un des plus vieux métiers du monde?...

METTRE LA TABLE  OUI MAIS AVEC QUOI ?
 Parfois dans ces grandes tables rustiques, on trouve des trous dans lesquels s'encastreront plus tard des écuelles. L'assiette et la fourchette ne trouveront place sur nos tables qu'à partir du XVI e siècle, époque à laquelle la tenue de table commence à se réglementer " il est grossier dit Erasme, de plonger ses doigts dans les sauces". On trouve pléthores d'anectodes plus vraies et plus fausses les unes que les autres au sujet de la fourchette.

LA FRAISE ET LA FOURCHETTE

La pique ou la fourchette à deux ou trois dents était déjà utilisée à l'époque gallo romaine, pour prendre des morceaux de viande dans le plat collectif, ensuite on utilisait ses doigts pour le porter à la bouche
Longtemps elle fit peur, elle était assimilée à un outil dangereux risquant de blesser la bouche.
C'est la fraise qui déclencha dit on dans les milieux plus ou moins bien informés,  l'utilisation de la fourchette sous le règne de Henri III. Le roi rapporta de Venise une fourchette à deux dents qu'il jugea très pratique car elle lui évitait de plonger sa main dans les plats. Mais le jour où la fraise passa de mode, il semble que la fourchette disparut plus ou moins. Au XVII e siècle, elle n'était toujours pas d'un usage courant.  L'Eglise considérant que la fourchette était une incitation à la gourmandise, retardera son utilisation. Au XVII e siècle l'immoralité de cet objet sera revue et l'interdiction levée, on note alors le développement de cet instrument.
Cependant lorsque les règles étaient observées le couvert était mis avec le verre à droite, le couteau et le pain à gauche.

LA TOUR D'ARGENT : UN TOUR D'AVANCE
On raconte que le premier restaurant de Paris qui proposa des fourchettes à ses clients fut la "tour d'argent". Mais  il est vrai que l'on ne prete qu'aux riches. Ce célèbre restaurant qui fait face à Notre Dame  depuis 1582. L'auberge tenue par Rourteau devint rapidement un lieu à la mode. Rois (Henri III, Henri IV..) et les seigneurs s'y rendaient fréquemment. Le nom de Tour d'Argent vient simplement du fait que l'auberge était construite à proximité d'une des tours de l'enceinte de Philippe Auguste, construite en pierre pailletée de mica et dans laquelle le soleil se reflétait. Cette tour comme argenté les jours de soleil, fut donc à l'origine de l'enseigne de l'auberge sise "quai de la Tournelle" (petite tour)
En fait ce qui fit la différence entre l'auberge et le restaurant fut certainement l'usage des couverts individuels.

L'INDIVIDU PRIME SUR LE GROUPE
Nous sommes alors au XVIII e siècle et l'individualité se fait jour au sein de la société : on fait l'apologie de l'homme et plus seulement d'un groupe, le mien, le tien, le sien et de moins en moins le notre. Les peintres signent leurs oeuvres, les auto-portraits sont de plus en plus nombreux, le nom des architectes royaux ou non, sont connus, les acteurs bien que membres d'une troupe connaissent la célébrité sous leur nom propre, et puis  on commence à dormir dans des lits plus étroits où l'on ne recoit plus qu'exceptionnellement les hôtes de marque de passage, enfin on mange dans son assiette avec ses couverts, on boit dans son gobelet, on se socialise en meme temps que l'on s'individualise,  à tous les dégrés de la société...  La fondue dans notre civilisation occidentale semble être une résurgence des anciennes manières de table : tous pour un et un pour tous!


A CHACUN SON SET
L'origine du mot set, "set de table" est des plus interessante. De quoi s'agit il ? D'un naperon individuel, d'un simple changement de matière car du tranchoir métal on passe au set en textile... Le tranchoir devint assiette dans certains cas et set dans d'autres. Il y a corrélation entre set et assiette : set, mot anglais qui est entré dans la langue française il y a bien longtemps vient de l'allemand setzen qui signifie assoir. Or assiette vient de seant, assoir.. Ces deux objets tendent à  désigner avant tout la place des convives. Le mieux dans ce cas n'est pas l'ennemi du bien, et il est recommandé de cumuler set et assiette...le tout avec un bon siège

A SUIVRE MON HISTOIRE DU LINGE DE MAISON

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