lundi 27 novembre 2023

DES PANORAMAS AUX PANORAMIQUES : UN VOYAGE HAUT EN COULEURS AU PAYS DES ARTS DECORATIFS

 


LES IDEES ET LES MOTS 

Le mot panorama est une création du peintre irlando-écossais Robert Barker.  Construit sur le grec ancien pan = tout et horama =vision, cela donne littéralement   vue globale, vue d’ensemble. Cette notion décrivait parfaitement l’idée, a priori incongrue, que l’artiste avait en 1787 d’exposer sur les murs d’une salle circulaire une série de toiles représentant des vues à 360° de la ville d’Edimburgh. Entre grec ancien et anglais moderne, le mot est entré sans crier gare tel quel dans le vocabulaire français.


LE  PAPIER PEINT PANORAMIQUE

C’est un revêtement mural dont le décor au format XXL est continu, sans  répétition. Les lés ou panneaux peuvent être collés d’un  seul tenant ou séparément L’absence d’encadrement ou de bordure libère l’image qui, visuellement, agrandit l’espace gomme les angles.  Le but ? Produire un effet visuel donnant l’illusion de l’espace.


 IL Y A TOUJOURS UN DEBUT A UNE HISTOIRE 

La décoration murale n’est pas née hier, ni même avant hier ! Remontons le temps avec les peintures rupestres de Lascaux, les fresques de Pompeï ou les mosaïques du Taj Mahal. A l’origine des panoramas il y eut les veduti, séries de vues de Rome peintes depuis les collines environnantes au XVIe siècle, image par image, rassemblées en un tout donnent une vue générale de la ville.

  

LES PANORAMAS AVANT LES PANORAMIQUES

Robert Barker préconisait que les salles où il exposerait ses œuvres ne devaient avoir qu’une seule et unique source de lumière provenant d’un éclairage zénithal, afin d’éclairer les toiles tout en laissant dans la pénombre les spectateurs placés sur une plateforme érigée au centre de la pièce. Tout était fait pour donner  l’impression au visiteur qu’il faisait partie du tableau qui l’entourait de toutes parts. Le succès de ce divertissement populaire entraina la construction de multiples bâtiments circulaires baptisés panoramas en Europe. 

Le saviez vous ? C’est l’américain R. Fulton, qui fit construire les premiers panoramas parisiens en 1799. A Paris, deux anciens panoramas existent, bien que leur destination ait changé en quelques décennies :  il s’agit du théâtre du rond point et du théâtre des Champs Elysées. 

Le saviez vous ? Si le passage qui débouche sur le boulevard Montmartre est  baptisé passage des panoramas, c’est parce qu’il reliait au début du XIX e siècle deux panoramas aujourd’hui disparus. Mais pour les curieux, il existe encore des   panoramas en activité, notamment à Waterloo et à Sebastopol. 

Avec le recul, on comprend que le public, un tantinet naïf, ait pu être conquis, intrigué, amusé, médusé par cette attraction. 

En aparté : J’aime ce concept décoratif où l’imaginaire est en vedette, je m’y

engouffre avec délice et curiosité. J’accepte l’illusion d’optique pour mieux en jouer. 

 APRÈS LES PANORAMAS STATIQUES, LE MOUVEMENT PREND LE PAS

Aux panoramas, succèderont en 1822, les dioramas et leurs images animées, une attraction rendue obsolète avec l’avènement de la photo, puis du cinéma.  


LES PANORAMIQUES, UNE ILLUSION SPACIALE

A la fin du XVIIe siècle, en réponse au succès des panoramas publics, les manufacturiers français proposèrent des panoramiques ou panoramas domestiques. Leur spécificité résidait dans la conception même de ce revêtement mural : créer un environnement visuel  inattendu :  le volume se dilate, les murs disparaissent; l’espace s’ouvre vers l’intérieur.
 

UNE CONSTRUCTION SAVAMMENT ETUDIEE

Contrairement aux papiers peints traditionnels qui présentent des motifs répétitifs sur un rouleau, les panoramiques se composent d’un certain nombre de lés ou panneaux qui sont assemblés pour créer une image panoramique continue sur un mur ou une surface. 

 

UN VOYAGE SEDENTAIRE

 Et si c’était l‘idée sous jacente de cette forme de décoration murale ? Une opportunité pour le  “spectateur“ d’entrer dans une autre dimension, dans un monde imaginaire, dans un faux semblant qui vous emmène au bout de vos rêves. À une époque où les distances constituaient un obstacle, voyager était une épreuve, les  panoramiques créaient des "voyages virtuels" en affichant des   paysages lointains, une végétation luxuriante mais souvent imaginaire.


SE LAISSER BERCER D’ ILLUSIONS

En toute conscience, nous le savons, les panoramiques sont des mirages, mais qu’importe, acceptons le challenge et savourons notre plaisir. 

Bien que le douanier Rousseau n’ai jamais visité les contrées lointaines qu'il représentait dans ses peintures, les sources d’inspiration à sa portée n’étaient que  les jardins botaniques, zoos et autres expositions coloniales. Il sut nous offrir sa réalité sincère, quoique teintée de naïveté, tel est le talent de l’artiste !


UN JOLI PARCOURS POUR CES LONGS METRAGES

Le premier long métrage européen pourrait être la broderie dite “tapisserie“ de Bayeux, cette bande de 0,50 m de large sur 70 m de long qui déroule, scène après scène, l’épopée de Guillaume le Conquérant.

 

LE MOUVEMENT APPARENT

Un trajet semé d’embuches pour les soldats du Duc de Normandie, mais un chemin rectiligne pour le visiteur. Au fur et a mesure que l’on avance, les séquences de cette bande dessinée se succèdent (broderies en laine sur une toile de lin) et, petit à petit, les personnages semblent s’animer sans que rien ne bouge, si ce n’est le spectateur.


PAPIER PEINT VERSUS PANORAMIQUE

Le papier peint panoramique est un revêtement mural qui se distingue des  traditionnels papiers peints par ses dimensions hors normes.


LA TRES HAUTE COUTURE ALSACIENNE 

 La fabrication des panoramiques de la plus ancienne manufacture française de panoramiques, Jean Zuber, installée  en 1784 à  Rixheim en Alsace, nécessitait un nombre considérable de planches de bois gravées ainsi qu’une une équipe d’artistes et d’artisans qualifiés. Ces productions furent remarquées par des amateurs, non seulement en Europe, mais dans le monde entier.

  

LE ROCAMBOLESQUE PARCOURS DU PANORAMIQUE DES VUES DE L’AMERIQUE DU NORD DE LA MANUFACTURE JEAN ZUBER

 En 1961, Mme Kennedy décida de redécorer la résidence présidentielle. Or concomitamment, la maison Jones, une bâtisse vieille de plus d’un siècle située à Thurmont dans le Maryland, était sur le point d’être démolie. Peter Hill, antiquaire brocanteur bien informé, se rendit sur les lieux. Il y découvrit un panoramique poussiéreux qui couvrait les murs d’un long et sombre couloir. Un travail exceptionnel sorti des ateliers de la manufacture alsacienne de Jean Zuber en 1834. Composé de 32 vues de « l’Amérique du Nord »  dont : le pont naturel en Virginie, les chutes du Niagara, la baie de New York et le port de Boston réalisées par le peintre Deltil d’après des gravures du XVIIIe siècle. 1690 blocs de bois gravés furent nécessaires pour exécuter ce chef d’œuvre.

Acquise pour 50$ par cet homme, elle fut sauvée in extremis. Mais, décoller le papier dans les plus brefs délais avant démolition s’avéra périlleux. Précautionneusement, avec un matériel des plus sommaires, il récupéra sans   détérioration le panoramique. Peter Hill contacta le Smithsonian Institute qui alerta mme Kennedy qui fut séduite par ce panoramique. Le NSID (National Society of Intérior Design) acheta ce décor mural  à Peter  Hill pour la somme de 12 500 $ et en fit don à la Maison Blanche.

 Mme Kennedy lui offrit une seconde vie et une place d’honneur sur les murs de la    Diplomatic Reception Room ou salon des ambassadeurs. C’est ainsi que, malgré une acquisition fort peu conventionnelle, le savoir-faire français est présent à l’autre bout du monde. 


LES ARTISTES DE L’OMBRE  .                                                                                                           La réalisation de ces magnifiques panoramiques fut un travail d’équipe. Les plus importants furent le dessinateur Mongin, le peintre Deltil et le chimiste Eherman pour la partie florale des panoramas, et Zibelius, ornemaniste de grand talent. 


OUBLIER LES MURS, ABOLIR L’ESPACE

Occulter les murs, ces  surfaces planes et inertes, en les sublimant artistiquement ou les utiliser comme simple support pour la décoration intérieure semble avoir été la préoccupation de nombreuses civilisations. Si tout n’est pas, comme le dit Baudelaire, «…qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté »,  c’est au moins une invitation à élargir le champ de vision vers l’intérieur d’un espace clos d’une pièce.


 LES PAYSAGES  OU SCENES PITTORESQUES                                                                         Au XVIIIe siècle, les premiers panoramiques furent réalisés à partir de dessins, de peintures qui s’adaptaient au goût du public. Scènes pastorales, paysages bucoliques ou urbains. Mais pour le plus grand plaisir des clients, les paysages étaient généralement idéalisés, moyen de créer un environnement pittoresque.                                                                                                                               Le saviez vous?  Pourquoi pittoresque? Si l’on se réfère à l’étymologie, de l’italien pittore peindre, cela devient alors une évidence : ces vues  sont dignes d’être peintes pour leur aspect séduisant elle sont « aimables ».   

LES PANORAMIQUES ENTRE ART ET DECORATION                                                                                       Avant le XIXe siècle, la décoration d’un intérieur reflétait le statut social du propriétaire, généralement issu de la noblesse ou de la grade bourgeoisie, les seuls à pouvoir s’en préoccuper. Chaque œuvre était réalisée à l’aide de planches de bois gravées – 2 à 3000 pour un panoramique – qui étaient trempées séparément dans chaque couleur avant application, comme des tampons. Ces articles prestigieux étaient, comparable aux produits de la Haute Couture. La main d’œuvre qualifiée travaillait avec des matériaux haut de gamme. Avec la révolution industrielle, les inventions se succédèrent et la fabrication artisanale des papiers peints faisant de chaque panoramique une pièce unique passèrent progressivement, avec l’invention de la lithographie, à une production industrielle. Ces progrès permirent de baisser leur prix de revient, drainant ainsi une nouvelle clientèle.    

                                                                                                                                                                                                                                DU "HOME SWEET HOME“ DU XIXE SIECLE A CELUI DU COCOONING DES ANNEES 80 : LE CHANGEMENT DANS LA CONTINUITÉ                                                                                                                            Au milieu du XIXe siècle, des appartements bourgeois aux logements des classes populaires, la décoration d’intérieur s’invite. Après le strict nécessaire, le superflu devient incontournable et la maitresse de maison s’attèle à faire de son foyer un lieu agréable et confortable. C’est sa personnalité plus que son statut social qui se dégage de l’ambiance du « home ». Depuis des décennies, la communication des éditeurs de panoramiques insiste sur ce point et proposent presque tous  des  panoramiques sur mesure, plutôt à la mesure des goûts d’une clientèle désireuse de personnaliser son intérieur, miroir de leur personnalité. 

                                                                                                                                                                  LE DEPAYSEMENT A PORTEE DE VUE                                                                                            Le papier peint est de plus en plus accessible financièrement, mais les panoramiques demeurent encore et pour longtemps des pièces d’exception artistiquement et financièrement. Cependant, ils demeuraient plus abordables que les boiseries ou les tapisseries  et, au XIXe siècle la bourgeoisie, avide de nouveautés, en fit grande consommation.                                                                          Le saviez vous ? Dans le Père Goriot, Balzac décore d’un panoramique les murs du salon de la pension Vauquer. « le surplus des parois est tendu d’un papier verni représentant les principales scènes de télématique et dont les classiques personnages sont coloriés ». Le panneau d’entre les croisées présente le tableau d’un festin donné au fils d’Ulysse par Calypso.


PANORAMA  DE QUELQUES GRANDS EDITEURS DE PANORAMIQUES

Zuber (France) : Fondée en 1797, c’ est l'un des plus anciens fabricants de papiers peints panoramiques. Leur expertise artisanale et leur engagement envers la qualité en font une référence dans l’industrie. Wall&Decò (Italie) : Wall&Decò propose des papiers peints contemporains et avant-gardistes. Cole & Son (Royaume-Uni) : Fondée en 1875, la production allie tradition et modernité, Rebel walls (Suède) : fondée en 2012, « un rebel est quelqu’un qui reste fidèle à lui même » propose une infinité de thèmes et de modèles pour ceux qui veulent  exprimer leur personnalité dans le décor de leur Home ou de leur lieu de travail. Isidore Leroy (France) crée son entreprise de papiers peints en 1842 ; il révolutionne la technique d’impression du papier peint en créant une machine capable d’imprimer le papier en continu comme pour le tissu. Les trois fondamentaux de la société : l’avance technologique, l’excellence du produit,  l’élégance du design sont toujours d’actualité dans la société reprise par Jean Etienne. En 2016, c’est la première collection du « nouveau Isidore Leroy ». Depuis, les collections se succèdent en collaboration avec de prestigieux designers.  Inkiostro Bianco (Italie) : La créativité et la recherche de la beauté sont les éléments de base d'Inkiostro Bianco. Un fabricant de papier peint italien spécialisé dans l'impression numérique. Les Dominotiers (France) : spécialiste des panoramiques sur mesure. Pierre Frey (France)  : Cette maison de design propose des papiers peints panoramiques qui allient tradition et modernité.


D’HIER À AUJOURD’HUI, LES PANORAMAS SE REINVENTENT

L’idée fut remise au gout du jour et du public par la société Exhibition Hub qui propose un peu partout dans le monde une attraction peu ou prou similaire à celle des panoramas du XVIIIe siècle. Les spectateurs sont tout environné par l’image à 360° et, de Paris à Séoul, de New York à DubaÏ, le succès est au rendez-vous. Pas de papier peint mais une immersion totale dans l’œuvre de peintres célèbres, grâce à la maitrise des techniques récentes comme le vidéo mapping. L’ambiance sonore vient accentuer les effets, et le spectacle, car c’est de cela qu’il s’agit, est visuel et sonore. Je ne sais pas ce que l’on nous promet pour demain, mais ce qui est à notre disposition en 2023 est déjà fort interessant.


LES PANORAMIQUES PUBLICS VOUS ATTENDENT

Si vous n’êtes pas encore décidé à acquérir un panoramique, sachez que les  murs de deux musées parisiens vous proposent des œuvres « immersives » avec les créations audacieusement colorées de deux artistes : Monet et Dufy. 

Au sous-sol du musée de l’Orangerie à Paris. les nymphéas de Claude Monet  couvrent les murs circulaires de cette salle dont l’éclairage zénithal fut voulu par l’artiste lui même.  Placez-vous au centre de la pièce, prenez place et laissez-vous entraîner par votre imagination, rêvez :  « L’illusion d’un tour sans fin d’une onde sans horizon et sans rivage vous entoure » C. Monet. 

Le saviez vous ?  Le mot nymphéa, du grec numphé, nymphe, est le terme scientifique qui désigne le nénuphar. 

Le musée d’art moderne de la ville de Paris ouvre toutes grandes les portes de la salle aux murs incurvés qui accueillent la gigantesque fresque de Raoul Dufy baptisée la fée électricité. L’atmosphère est « féérique », les bruits résonnent et vous, minuscule personnage central dans cette pièce aux dimensions phénoménales êtes comme happé par la lecture de cette odyssée technique.

Une immersion à la géode dans le parc de la Villette est une forme plus contemporaine certes, mais assez proche dans l’idée de ce que furent jadis les panoramas.

COMMENT DISTINGUER UNE FIBRE DE COTON D'UNE FIBRE DE LIN?

  

Les fibres de coton et de lin, produits phares de l’industrie textile, sont à la fois proches par leur origine et éloignées par leur réactions comportementales.

Le saviez vous? Le coton, avant d’être filé, se présente sous la forme de bourre blanche et soyeuse entourant les graines nichées au creux des « capsules »,  fruits du cotonnier. La douceur, la souplesse et la polyvalence sont les qualités intrinsèques associées à cette fibre. Le prix accessible des articles en coton joue en sa faveur et le rend populaire à travers le monde.

La fibre de lin est une fibre libérienne extraite de la tige d’une plante baptisée linum usitatissimum. La solidité, le confort et l’étrangeté de son allure sont les points forts de la fibre de lin.  Avec une  production plus restreinte à l’échelle mondiale que celle du coton, les articles en lin sont moins accessibles pécuniairement au plus grand nombre.

LA BOITE A OUTILS

Puisqu’un simple coup d’œil, même professionnel, ne suffit pas toujours à différencier un tissu en coton d’un tissu en lin,  j’ai sorti de mon escarcelle des astuces simples et ludiques. Quelques manipulations lèveront le voile sur leur fonctionnement. Préparez trois échantillons de toile de lin et de toile de coton, une boîte d'allumettes, une paire de ciseaux et une loupe, mieux encore, un compte fil et un peu d’eau. 

Le saviez vous? Ce matériel ne servirait à rien si la sensibilité humaine n’avait pas un rôle dans cette expérience. L’être humain possède une panoplie d’outils d’une incroyable fiabilité : la vue, le toucher, l’ouïe. Il suffit de les aiguiser pour percer les secrets de ces deux magnifiques plantes textiles.

ACTIONS-REACTIONS 

1. La vue : de la sobriété du coton à la désinvolture du lin  

Le coton :  retirez un fil de l’échantillon et observez le attentivement. Pour une qualité basique, la surface est légèrement poilue, ce qui n’est pas le cas pour les cotons peignés.  

Le test :  essuyez un verre avec un morceau de toile de coton. Il reste sur les parois des traces indésirables. Pourquoi ? Parce que les fibres de coton sont généralement assez courtes et barbues ; elles ont tendance à s'effilocher pendant les manipulations, laissant des peluches microscopiques sur les parois du verre.

-le diamètre des fils, qu’il soient épais ou fins, est constant, la surface régulière, sans grand relief : c’est le calme plat. L’aspect et la qualité d’une cotonnade sont fonction de l’origine et de la longueur des fibres sélectionnées, de l’armure choisie et du nombre de fil au cm2. Ces chiffres, souvent mis en exergue pour le linge de maison sont rarement indiqués pour les vêtements,  dommage ! Avec un compte faible, les fils sont espacés, le tissu manque de ressort, il est plus fragile mais plus léger. Inversement, avec un nombre élevé de fils  le tissage est serré, tonique, « il a une belle main » ;  il est solide et plus lourd. Le choix est évidemment lié à la destination du produit fini. Un repère ? La densité d’un drap de coton la plus fréquente est de 57 fils au cm2.  Avec une densité de 85 fils au cm2 la qualité du drap est excellente et, au delà de 140 fils au cm2, c’est le grand luxe.


Le lin : observez  un fil. Il est lisse, il se tient bien. Essuyez un verre avec l’échantillon de lin : les parois sèchent sans difficulté et sans trace. Pourquoi ?  Grâce à l’absence de peluches. Un torchon en lin ou en métis (lin et coton) est donc idéal pour essuyer les verres.

Observez  la surface de l’échantillon : elle est  cabossée comme un chemin aux pavés mal joints. Pourquoi ? Parce que le diamètre des fils est irrégulier.  En cause, des sur-épaisseurs qui se forment à la jonction des extrémités des segments de fibres mis bout à bout pour obtenir un fil continu. La quantité de ces bosses, nœuds, ou grains est liée à la qualité des fibres utilisées. Plus elles sont longues, plus le diamètre du fil sera régulier et plus la surface sera plane. Une singularité que les toiles de lin partagent avec la soie sauvage. On aime ou on déteste le lin, mais son caractère rebelle fait partie de son charme, c’est son ADN. 

L'irrégularité du diamètre des fils de lin est un avantage pour les vêtements et les draps. Grace à un relief même minime, l’étoffe n’entre pas en contact direct avec la surface de la peau et l’espace ainsi créé permet la circulation de l’air : c’est une climatisation naturelle. Les tissus en lin ne collent pas sur la peau même et surtout en cas de transpiration, ils offrent  un confort  naturel, sans technique, sans ajout chimique. J’aime le lin pour sa texture extravagante et son authenticité.

  

La manipulation : froissé, chiffonné ou cassé ?

Tout est question d’élasticité. Froisser est un terme polyvalent, chiffonner est plus spécifique ; il fait référence à ces plis plus fins, plus approprier aux cotonnades. Pour les tissus en lin, le terme adéquat est casser.

Le coton : triturez l’échantillon sans scrupule au creux de votre main puis ouvrez la :  le tissu a changé d’aspect : il est froissé voire chiffonné en fonction de son épaisseur, il se déplie lentement avec une certaine souplesse, voir une mollesse. Pourquoi? Parce que  la fibre de coton ressemble à un ruban plat en forme d’hélice. Cette torsion naturelle confère une certaine élasticité au fil qui plie mais ne casse pas. La qualité des fibres employées pour fabriquer les fils et le type d’armure a, à l’évidence, une incidence sur le comportement du tissu mais, le client n’étant pas dans la confidence, n’hésitez pas à toucher, à manipuler le tissu ou le vêtement avant un achat pour juger de son comportement à l’usage. 

J’aime le coton pour sa sobriété, sa souplesse, sa simplicité, son exquise gamme colorée qui se révèle parfois comme une gourmandise, mais aussi pour sa versatilité, puisque de toile de bâche, il peut aller jusqu’à devenir un précieux damassé.

Le lin :  manipulez la toile au creux de votre main, puis ouvrez la et observez la réaction : les plis sont marqués, comme une feuille de papier que l’on aurait pliée. Pourquoi ? Parce c’est une fibre libérienne, c’est-à-dire contenue dans la tige qui se doit d’être solide, d’où cette rigidité naturelle qui entraine des cassures plus que des plis ronds. Cet inconvénient n’est, toutefois, pas irréversible. Il suffit d’humidifier l’étoffe pour que les fils reprennent leur forme initiale ou presque, parfois un repassage s’avère nécessaire. L’entretien d’un article en lin est considéré comme un inconvénient majeur pour ses adversaires et l’argumentaire commercial favori de mettre en avant le froissé chic du lin n’est pas fait pour les convaincre. 

Le saviez vous ? Le choix de l’armure a une incidence sur le comportement d’un tissu. Sachez qu’une toile sera plus sujette aux plis qu’un sergé ou un chevron.

 

L’eau et l’air : question de tempérament !   

Ces deux fibres sont « respirantes », ce qui signifie que l’air les traverse, favorisant  l'aération et la ventilation du vêtement et régulant naturellement la température corporelle. Mais elles inspirent et expirent à leur rythme : lent pour le coton, rapidement pour le lin.

Le coton

La fibre aime l’eau, peut être même trop, parce que la plante a besoin d’une grande quantité d’eau pour que les capsules arrivent à maturité et s’ouvrent pleine à craquer de cette ouate blanche qui, après traitement, donnera un fil. La toile n’absorbe pas la goutte immédiatement ; elle persiste quelques minutes à la surface alors que se forme lentement, tout autour, un cercle humide jusqu'à son absorption complète. Pourquoi? Parce que le fil de coton est poreux et sa paroi mince peut absorber l'humidité ambiante lentement et l’emmagasiner. Il la libèrera tout aussi lentement, ce qui implique qu'un vêtement en coton mouillé devient lourd. C'est un inconvénient quand  le tissu est en contact direct avec la peau et absorbe la transpiration : il reste humide, lourd et colle à la peau suffisamment longtemps pour provoquer un effet désagréable entraînant parfois une sensation de froid. Ce qui est considéré comme un inconvénient, devient une qualité puisque le coton a une bonne affinité tinctoriale

Le saviez vous ? La  mécanisation de la production textile au cours de la révolution industrielle au XVIIIe siècle a été à l’origine du développement de la production de coton. Avant l’invention de la machine à égrener le coton en 1793, la fibre n’était pas blanche mais marron ou verte à cause de la présence plus ou moins importante des graines qui étaient diversement colorées. 

Le lin

La goutte d'eau s'étale rapidement sur la surface du tissu. Pourquoi ? Parce que le fil de lin a une excellente capacité d’absorption bien qu’il n’emmagasine pas cette humidité qui est libérée rapidement. Un vêtement en lin ne se gorge pas d'eau, il  conserve sa légèreté, sèche vite ce qui est un gage de confort en période de forte chaleur et pour les personnes qui transpirent beaucoup. 

Ce qui apparait comme un avantage  peut devenir un inconvénient lorsqu’il s’agit de teinture. La paroi de la fibre étant épaisse, la teinture atteint difficilement le cœur de la fibre. 

Le saviez vous ? En coupant un lin de couleur sombre, le cœur du fil est plus clair que sa surface, c’est un moyen de reconnaitre un article en lin.  


Un conseil :  suspendez  un article en lin sur un cintre dans votre salle de bains à proximité de la douche ou de la baignoire, l’humidité ambiante suffira à lui rendre son aspect initial, les plis disparaîtront prêts à repartir sans l’intervention d’un fer à repasser. Dans un climat chaud et humide, le lin est idéal : il est confortable et s’entretient tout seul.


Le feu : le  coton se consume plus rapidement que le lin

Le coton

Approchez la flamme de l'allumette de la toile de coton : elle est grande et dévore  rapidement le tissu. Stoppez la flamme avant que tout ne soit détruit car le coton brûle comme du papier sans odeur particulière. Le tissu brûlé est noirci même si, à l’origine, il était rouge et le bord, une fois la flamme éteinte, brun et régulier, laissant des résidus à peine palpables.

Le lin 

Approchez la flamme de l’échantillon. Ne vous pressez pas d'éteindre la flamme, le tissu brûle plus lentement. Soufflez pour éteindre et observez : la partie qui a été brulée n'a pas complètement disparue, ce n'est plus qu'une forme grisâtre qui représente le squelette de l'étoffe disparue, Curieusement, on retrouve la forme et les dimensions de la partie brûlée tel un fragile fantôme qui peut disparaître au moindre souffle.


2 L’OUIE : DU CHANT  AU RÂLE

Le coton  

Entaillez l’échantillon avec une paire de ciseaux puis prenez les deux parties et tirez d'un seul coup afin de séparer le tissu en deux. La déchirure est rapide, le tissu se sépare en droit fil et le bruit est clair, sec, presque strident. Pour un tissu épais, le bruit sera plus sourd. On peut le comparer au son d'une clarinette ou d’un tuba selon la consistance du tissu.

Le lin

Entaillez l’échantillon et tirez pour le déchirer  C'est  difficile, voire impossible.

Pourquoi ? Parce que les fils de lin étant plus irréguliers, ils ne cèdent pas aisément à la traction et une déchirure "propre" suivant le droit fil est impossible, les bords du tissu seront toujours irréguliers, effilochés. Le bruit est étouffé, faible et poussif. C'est l'équivalent du son d'un trombone.

Le saviez vous ? Ceci est un moyen infaillible de différencier le lin du coton : Si, dans un magasin de tissus, le vendeur ou la vendeuse entaille et déchire d'un geste sec le tissu, il ne s'agit pas de lin pur mais, dans le meilleur des cas, d’un mélange.  


3 LE TOUCHER : TOUT EN SUBTILITÉ

Le coton

Posez votre main sur le coton. La chaleur de la main suffit à chauffer la surface de l’étoffe. Selon la longueur des fibres, le procédé de filature, la qualité du coton, vous sentez sous les doigts une surface lisse ou duveteuse. 

Le saviez vous ? L’ennoblissement peut modifier les sensations tactiles. Dans la main, une toile de coton basique est quasiment neutre, naturelle tout au plus. Par contre, dès que l'on touche une toile de coton plus sophistiquée, c’est-à-dire revue et corrigée par la technique et la chimie, la main est capable de percevoir les subtilités qui lui octroient une brillance accrue, un grain ou une raideur artificielle. 

La fibre de coton est tellement répandue sur la planète qu'elle peut sembler au premier abord insignifiante. Pourtant, il faut savoir qu'il y a coton et coton. Si l'on sait faire la différence, on entre alors dans le cercle des Tissus Addicts.

Le saviez vous ? Une  fabuleuse qualité de coton pousse sur l’île de Socotra au large des côtes du Yemen. Cultivée,  filée et tissée localement selon des techniques ancestrales, ce coton de mer est doté de fibres d’une longueur inhabituelle et d’une extraordinaire finesse. Ces critères lui ont valu l’obtention par l’U.E. de l’indication IGP (Indication Géographique Protégée) qui en fait le plus luxueux, le plus rare et le plus cher coton du monde, loin devant le fameux coton égyptien gossypium barbadense, plus connu sous les appellations coton Jumel ou Giza 45. 


Le lin

Posez votre main sur l’échantillon : il  reste froid. Pourquoi ? Parce qu’il est bon conducteur de chaleur.  Par conséquent, la chaleur de votre main n’a pas d’incidence. Comme avec l'eau, la chaleur traverse le tissu qui ne la conserve pas.

Dans la main, le lin a une présence, une texture, une intensité qui en fait une matière tangible. Sa surface granuleuse et irrégulière est singulière, parfois riche, mais toujours reconnaissable.

Le saviez vous ? Une personne habituée à manipuler les tissus, pourrait différencier le lin du coton les yeux bandés. Pour moi le lin irlandais est comme un intrus dansa le monde des étoffes. Sa production est localisée et peu abondante. Ses fibres blanches, fines, d’une longueur inhabituelle, procurent au tissu une luminosité et un éclat qui transparait sous la teinture. Tout en conservant une allure rebelle, la douceur perce imperceptiblement, cette  étoffe cajole la peau. Souvent tissé en armure sergé, ce qui la rend plus malléable, elle présente une texture inhabituelle. Ces spécificités en font un produit de luxe rarement vendu au mètre dans les magasins de tissus. 

Le lin est, avec la ramie, la fibre textile la plus ancienne utilisée par l'homme. Sa production, plus faible  que celle du coton, explique son prix plus élevé que ce dernier. 


LES ENNOBLISSEMENTS

Il s'agit des apprêts destinés à transformer les qualités intrinsèques d'une fibre. Ils faussent la donne des expériences précédentes, c’est pourquoi je vous les soumets sommairement.

Les tissus de cotons sont commercialisés sous des aspects très différents : brillant, glacés, duveteux, imperméables, easy-care en fonction de la mode. Les tissus coton et  polyester sont très présents sur le marché, recherchés pour leur facilité d’entretien. 

Les tissus de lin font rarement l'objet d’ennoblissement et même de mélanges car le lin naturel se suffit à lui même. Les amateurs de lin sont souvent des adeptes de la fibre qui recherchent le confort et le coté naturel.
Le saviez vous ? Les lins sont rarement mélangés avec la laine, sans doute une réminiscence des lois bibliques qui interdisaient le mélanges des fibres végétales et animales, mais les  tisseurs italiens ont transgressé ces lois proposant des tissus sublimes.

Le mélange lin/ polyester est, selon moi, une erreur. Pourquoi éliminer ce qui fait son « excentricité » et faire rentrer dans le rang des étoffes insipides un trésor de la nature ?

Il existe des toiles de lin enduites ou imperméabilisées chimiquement qui sont des produits intéressants dont on fait des nappes ou des imperméables légers.

Pour diversifier leur clientèle, les industriels sont tentés par les ennoblissements du lin. Une fibre peut en cacher une autre par exemple, en tissant une toile avec des fils de coton irréguliers dont l'aspect se confond à dessein avec un fil de lin.

En écrasant la fibre avec des rouleaux industriels, on obtient un  lin lustré qui  a la brillance d’une soie. Les lins lavés ont trouvé leur public et le succès commercial en est la preuve mais, comme les blues jeans "used", industriellement vieillis par des lavages successifs, leur longévité est compromise.


Vous voilà en mesure de distinguer les tissus en coton des tissus en lin, de les apprécier pour leurs spécificités et d’envisager sereinement vos prochains achats.