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UNE ETYMOLOGIE COUSUE DE FIL BLANC
De l’italien crispare et du vieux français crespe : frisé avec des nuances qui conviennent à la diversité des surfaces des crêpes : ondées, grenues, sablées.
ET LA LUMIERE FUT
Observée avec un compte fil, la surface des crêpes ressemble à celle de la lune, tout en creux et en bosses, un terrain de jeux sans lustre mais où ombres et lumières trouvent le moyen de jouer les divas.
ACTION !
Crêper, c’est soumettre un fil à une torsion. Le nombre de tours/m est fonction de la destination du fils. Entre 3000 et 4000 tours par mètre pour un fil destiné au tissage d’un crêpe.
LA PARTIE SE JOUE SUR LE FIL
Différentes méthodes sont utilisées pour crêper un fil, choisies en fonction de la fibre : on peut crêper du crin en le faisant bouillir, crêper un fil de soie en le tordant, texturer un fil polyester en exploitant sa thermoplasticité ou même se crêper les cheveux !
LE MOULINAGE : SECRET DE LA REUSSITE
Il consiste à réunir plusieurs brins de soie agglomérés entre eux par le grès et à les tordre ensemble pour obtenir un fil solide capable de supporter les tensions du tissage, de résister au bain de teinture sans se désintégrer.
DE S A Z
Tisser alternativement et avec des tensions différentes, un fil tordu dans un sens, puis un fil tordu dans l’autre produit l’effet escompté pour obtenir le crêpe chiffon.
DE LA MAIN AU MOULIN
A l’origine, les fils étaient retordus manuellement par des procédés analogues à ceux utilisés par les cordiers, un procédé long et fastidieux qui fut simplifié au XVIIe siècle grâce à l’invention de machines appelées moulins, une technique développée par les piémontais, copiée par les anglais en 1820 siècle et améliorée en 1855 par le français Vaucanson, son moulin offrant la possibilité de filer et de tordre simultanément les fils de soie en continu et de manière régulière. Voilà le mystère de l’origine du mot moulinage résolu.
A CHACUN SA RECETTE
La torsion modifie les propriétés physiques d’un fil : plus le nombre de tours par mètre est important plus sa solidité augmente, plus son diamètre diminue, plus sa longueur se réduit, plus sa brillance s’atténue et plus ses ondulations sont nombreuses. Inversement plus la torsion est faible, plus le fil est souple et gonflant, plus ses ondulations sont espacées. Les combinaisons torsion/m-fils-armure-matière sont infinies, offrant depuis des siècles aux tisserands l’opportunité d’exercer leur créativité.
DANS LES COULISSES DU CREPE
A la tombée du métier, le tissu est plat, les fils de chaîne ayant été soumis à une forte tension, sont encore sous l’effet de l’anesthésie. Le grès se dissout dans le bain de teinture, réveillant les fils qui tentent de reprendre leur forme initiale en se détordant mais sans succès, le tissu ayant subi un retrait notable. Les fils n’ont d’autre solution que de se recroqueviller et leur crispation provoque un chamboulement en surface qui, de calme, plate et lisse, peut se transformer en un champ de bataille hirsute.
UN COURT CIRCUIT
Ni romain, ni georgette ou aérophane mais sha, chirimen, bologne, une liste restreinte afin de respecter le nombre de lignes imparti.
SHA ET ZHOUSHA LES PREMIER SPECIMENS DE CREPE DE CHINE
Il fallait s’en douter, le crêpe de soie est né dans le Céleste Empire. Des fragments de Sha, une soie dont l’aspect est donné par son idéogramme sable, ont été exhumés à l’occasion de fouilles archéologiques. Les plus anciens sont datés du XIIe siècle avant J.C. Cette gaze est caractérisée par une contexture lâche, des fils peu tordus en chaine et sur-tordus en trame. Le zhousha est un dérivé du sha, avec une surface plus granuleuse puisque tous les fils subissent une torsion. La transmission des savoir faire des filateurs et des tisserands se faisait au sein des ateliers ou des familles. Les peines encourues par les contrevenants à cette tradition qui auraient partagé leurs connaissances avec des étrangers furent suffisamment dissuasives pour réduire les trahisons. Au Xe siècle, la fabrication du sha était le monopole de deux familles dont les membres se mariaient entre eux afin d’éviter la divulgation de la technique. Une fois le secret de la soie percé et le monopole perdu, la qualité de l’artisanat persista. Au XVIIe siècle, le zhousha et le sha étaient de véritables chef d’œuvre enrichis de broderies, à l’usage exclusif de la garde robe impériale. Aujourd’hui encore, le crêpe de chine est le plus connu des crêpes : tissé écru, armure taffetas, un tissage serré, avec des fils de chaîne ayant reçus une faible torsion et des fils surtordus en trame. Il en résulte un tissu souple, d’une belle rondeur. Ce qui le rend si aimable est sa délicieuse et élégante façon de se draper.
LES TISSERANDS JAPONAIS INVENTENT LEUR CREPE
Le chirimen un crêpe made in Japan
La transmission Chine/Japon n’échappe pas aux « indélicatesses » humaines. Au XVIIe siècle, un tisserand « dissident » chinois, vint s’établir à Sakaï, initiant les artisans locaux à la technique de torsion des brins de soie. Le climat humide et chaud, de la région d’Osaka convenait à la fabrication des fils de crêpe, une atmosphère trop sèche donnant des fils cassants. Le chirimen présente une similitude au niveau de le torsion des fils avec le sha chinois : un fil peu tordu en chaîne et surtour du en trame, mais le tissage est plus serré. Au XVIIIe siècle, les centres de tissage de crêpe se multiplient dans le pays, notamment autour de Kyoto et de Kiryu. Devenus des articles de luxe durant la période Edo, les tisserands s’acquittaient des taxes impériales en métrage de chirimen.
Le chirimen Tango. Quand un tissu donne lieu à un acte de civisme, il convient de le mentionner. Dans le district de Tango, les paysans cultivaient la terre en été et durant la saison froide filaient et tissaient afin de diversifier leurs sources de revenus. Leur spécialité était le chirimen seigou vendu dans la province. Mais au XVIIe siècle, une succession de mauvaises récoltes et la concurrence des magnifiques chirimen shima des crêpes rayés, tissés à Kyoto plongèrent les paysans/tisserands dans un marasme économique insoluble.
Un commerçant de Tango eut l’idée d’initier les habitants de Tango à la technique du chirimen de Kyoto, mais les familles détentrices de la technique ne tenaient pas à la partager et les ouvriers soumis au secret, respectaient généralement ces consignes. Alors, l’espionnage et la ruse restaient encore la manière la plus simple d’accéder aux informations. Deux tisserands de Tango se firent embaucher comme apprentis dans un atelier de Kyoto. Au bout de deux ans, ils en savaient suffisamment pour rentrer et former les habitants de tango. Le passage de relais fut une réussite, la famine fut évitée, mettant en vedette le désormais célèbre chirimen tango dont la qualité pouvait rivaliser avec les chirimen shima.
QUESTION DE POIN DE VUE
La surface du chirimen est constellée de vaguelettes non pas géante comme celle d’Hokusaï, mais minuscules comme si la surface de la mer du Japon frissonnait après avait été frôlée par une brise légère. Si, pour les occidentaux, ce sont des frisures qui envahissent la surface des crêpes, se sont des shibo ou rides pour les japonais qui ont une vision plus lucide et décomplexée que personnellement je trouve plus cash et que j’adore.
SENS DESSUS DESSOUS
Il faut avoir eu entre les mains et devant les yeux un métrage de chirimen pour saisir sa complexité. Une curieuse sensation de lourdeur suggérée par son épaisseur, dissipée par une généreuse souplesse, insoupçonnée visuellement.
DE LA SUITE DANS LES IDEES
Le chirimen, est devenu au cours des siècles un produit devenu culte, et loin d’être abandonné, sa production se poursuit avec et ou sans soie, artisanalement et industriellement.
QUAND LA TRADITION EST UNE FORCE
Les japonais ont leur propre conception de l’artisanat et des artisans. La préservation exemplaire des savoir-faire ancestraux et leur transmission est une évidence au pays du soleil levant. Le passé et le futur se complètent. Au XVIIIe siècle, la soie était un produit de luxe les chutes issues du tissage étaient appelées chirimen zaiku ou crêpe de bricolage, utilisées pour habiller les poupées ou pour fabriquer des objets. Aujourd’hui, ce sont des objets du quotidien qui sont fabriqués avec le chirimen zaiku en polyester. « Peu importe le flacon pourvu… ». C’est un moyen exemplaire de perpétuer un art de vivre certain sans céder aux influences occidentales.
LE CREPE DE SOIE MADE IN ITALIE
Les premiers crêpes de soie sortent des manufactures italiennes établies à Bologne au XVIIe siècle, profitant des avancées techniques du moulinage qui ont lieu à la même époque dans la région qui permettent de produire de grandes quantités de fils organsins, indispensables au tissage très particulier des crêpes. Sans doute initiés par quelques filateurs venus de Sicile alors grand centre soyeux, les artisans bolognais conservèrent jusqu’au début du XVIIIe siècle le monopole de la production des organsins et du crêpe de soie noir.
LYON PREND PART A L’AVENTURE DE LA SOIE EUROPEENNE
La sériciculture se développe enfin en France sous l’impulsion d’Oliver de Serre, avec la bienveillance du roi Henri IV et l’aide de soyeux italiens « invités » à former les artisans français. En 1604, une manufacture royale de drap et de crêpe de soie est installée dans le château de Mantes mais son existence fut de courte durée, l’idée d’une implantation manufacturière de soieries dans la région parisienne étant abandonnée au profit de la Touraine et de l’Ardèche, régions au climat plus clément. Les manufactures de soie lyonnaises se développèrent grâce à la proximité des magnaneries ardéchoises. L’activité de ce secteur économique pâtit du peu de moyens mis en œuvre, des mauvaises performances techniques des machines et du manque de formation des ouvriers. Vaucanson, chargé par Louis XV de réorganiser l’industrie de la soie dans le royaume, remplit son contrat avec succès, malgré quelques obstacles qui ressurgirent lorsque Jacquard tenta d’imposer son métier aux canuts. In “dictionnaire encyclopédique et biographique de l’industrie et des arts industriels“ de O.E. Lamy.1883 : « le crêpe français est une sorte de gaze composée en chaîne et trame de plusieurs bouts de soie grège montés jusqu’à plus de 3 000 tours au mètre. Après tissage et teinture, l’apprêt fait à chaud au moyen de rouleaux recouverts de peau tend le tissu en lui donnant un dessin régulier. Ainsi préparé, le crêpe est méthodiquement tourmenté comme par un gaufrage mais bien plus fortement élastique qu’une étoffe gaufrée, il reprend énergiquement ses formes ondulées lorsqu’après l’avoir tendu à la main on le laisse à lui-même. Très résistant malgré sa légèreté, il se découpe pour faire des ruchés, des plissés de jupes, de cols de manches des formes de chapeaux etc. » La fabrication du crêpe n’a jamais cessée à Lyon, faisant coexister la soie et les fibres chimiques.
LE CREPE ANGLAIS
Jusqu’en 1720, les anglais importaient les fils organsins et les crêpes de soie d’Italie. Les frères Thomas et John Lombe décidèrent de construire des moulins piémontais en Angleterre. Le principe de l’espionnage industriel ne déroge pas à la situation. John se fit embaucher dans un atelier de Bologne dans le but de comprendre le principe du fonctionnement de ce moulin et de se familiariser avec son fonctionnement. Les croquis, qu’il fit, les notes qu’il prit durant les années qu’il passa en Italie lui servirent, à son retour, pour fabriquer la réplique de ces moulins se donnant les moyens de concurrencer la production italienne. Il déposa le brevet de « son invention ». Il mourut brutalement en 1822. Une femme d’origine italienne fut soupçonnée de l’avoir empoisonné. Le gouvernement anglais racheta le brevet à Thomas Lombe pour une somme conséquente. La manœuvre fut efficace, la qualité du crêpe de soie anglais dépassa celle des crêpes italiens, prenant ainsi une grande part du marché européen. Jusqu’en 1862, date de la mort du prince Albert, la demande de crêpe noir stagnait. Le dress code imposé à la cour par la reine Victoria boosta les ventes et, à cette occasion, naquit le crêpe Albert. Les femmes portaient les tenues de deuil deux années, la reine les porta jusqu’à sa mort. En 1890, la société Courtauld commercialisa un crêpe léger d’un noir profond dont la recette fort convoitée ne fut jamais dévoilée dit-on. Le « mourning crape » qui devint le crêpe Courtauld fut un grand succès. En 1894, la gamme fut enrichie d’un nouveau crêpe de soie, proche d’une gaze, caractérisée par un gaufrage. La production du crêpe noir Courtauld cessa en 1940.
J’ai pris un infini plaisir à partager avec vous la découverte de ces crêpes dont le parcours, souvent mouvementé, est à l’image de leur surface si particulière.