mardi 18 février 2014

L'ORGANZA : UNE GOURMANDISE TEXTILE

L'organza circule de poduim en poduim durant les "fashion- week" de Paris à New-York en passant par Milan. Il annonce la saison des mariages, couché sur les pages de papier glacé des magazines de mode, il fait des apparitions sur le tapis rouge du festival de Cannes mais il se fait rare, même très rare dans la vraie vie. Les principales causes de la désaffection du grand public pour ce prodigieux tissu sont multiples mais aisément compréhensibles : un prix élevé et un savoir- faire indispensable pour révêler tout son potentiel.  

l'organza s'envole avec subtilité (collection privée)

l'organza se drape avec élégance

QUEL DROLE DE NOM
Vous avez sans doute repérer une similitude entre organza et organdi. C'est normal, car ces deux tissus étaient transportés par les caravanes qui suivaient la fameuse route de la soie, route jalonnée de villes étapes dont Kunia Urgench au Turkmenistan. Au cours de siècles, Urgench après maintes transformations donna organdi, organza, organsin. C'est là une des hypothèses quant à l'origine de ces deux noms.
L'autre est moins ethnique, mais plus technique : le mot organza viendrait d'organsin, fil surtordu de soie non décreusée, qui participe au tissage et qui donne cette raideur onctueuse si particulière à l'étoffe, c'est une tenue quasi similaire que l'on remarque dans l'organdi,  mousseline de coton apprêtée
Organsin, semble avoir pour étymologie le mot organe, au sens d'instrument.

QUID DE L'ORGANZA
C'est une étoffe en soie qui se présente sous une multitude d'aspects, simple toile, brodée, jacquard, satin....
L'organza armure toile est fin, léger et transparent, sans ce lustre habituel que l'on connaît aux tissus de soie.
L'organza double, plus opaque, mais un éclat plus prononcé
L'organza satin plus lourd, plus raide
L'organza brodé...

organza simple
organza double et organza satin




          
un mélange d'organza (collect. privée)



L'organza, armure toile, imprimé années 1970. Il sublime les mouvements, aliant l'élégance au raffinement avec des couleurs  délicieusement acidulées.


Des couleurs éclatantes de fraîcheur sur un support textile de plus de  50 ans (collection privée)




Transparences diaphanes  avec un petit air de  Vasarely




































Il existe des étoffes armure toile en polyamide qui sont vendues sous l'appellation organza sans doute pour sa ressemblance avec l'organza de soie. Ce substitut de l'original présente une brillance et non un lustre, et manque indéniablement de subtilité.



LE SECRET TIENT A UN FIL
Ce fil c'est l'organsin, c'est lui qui donne à l'organza son maintien naturel, son gonflant, sa capacité à se mouvoir en trois dimensions et son lustre mat unique dans l'univers textile.

L'organsin est un fil de soie à forte torsion obtenue par organsinage, opération qui consiste à rassembler des fils grèges, eux-mêmes constitués de 6 à 18 brins soudés par leur grès et tordus par moulinage. L'organsin est tordu dans le sens inverse des fils grège et il est utilisé en chaine dans le tissage de l'organza. 
Ce fil est teint sur cru c'est-à-dire sur une soie non dégommée ; cette caractéristique se retrouve dans le gazar.

Si  l'on observe au compte fil le tissage d'un organza, on constate que le fait que les brins soit doublés, triplés ou quadruplés (et plus si affinité), le tissu ressemble à un natté, armure dérivée de la toile. L'espace entre les fils est constant et aère le tissu ; en extrapolant l'organza ressemble à un  minuscule canevas.



L'USAGE

L'organza est un tissu exceptionnel qui permet des constructions "coutures".  Le tissu se casse mais le repassage lui redonne rapidement sa prestance. 
(collection. privée)

Inutile de laver l'organza en pensant le rendre plus souple ; si cela était votre but alors préférez la mousseline.

Les superpositions se jouent des couleurs. Par transparence, un organza posé sur un autre organza aura pour effet d'iriser sa surface, d'onder l'ensemble, pas besoin de lunettes spéciales pour voir le tissu en 3D.


Non ce n'est pas une vue de Socthi, mais un brouillard obtenu par la superposition d' organza.

QUE FAIRE AVEC L'ORGANZA

Des robes du soir, des détails tels des nœuds, des cols, des manches. Des robes et ou des voiles de mariée. Dans la haute couture, l'organza est souvent utilisé en guise de toile pour maintenir une étoffe trop souple, certaines finitions sont faites à la main car la machine, aussi perfectionnée soit-elle, ne peut rivaliser avec le fil et l'aiguille maniés par une main experte. La souplesse d'un ourlet fait main reste inégalée. Ce sont des détails peu visibles voire cachés, mais qui font partie des incontournables de la haute couture. Bien sûr, le prix d'un tel vêtement prenant en compte ce savoir faire demeure inégalable lui aussi.

Alors ne boudez pas votre plaisir, vous pouvez utiliser un métrage d'organza pour faire une étole, facile à réaliser.







 .






dimanche 9 février 2014

OTTOMAN, REPS ET FAILLE : UNE HISTOIRE DE FAMILLE

OTTOMAN

L'origine du mot est sans surprise : du nom du sultan turc Othman, 1er fondateur de l'empire ottoman, aujourd'hui la Turquie.

FEMININ/MASCULIN
Au féminin, l'ottomane est un siège long, profond et très confortable. En France; il est fait mention pour la première fois d'une Ottomane dans l'inventaire des meubles de la couronne en 1729.
"un grand lit de repos une ottomane, de dix pieds de long sur trois pieds de profondeur, la couchette en deux parties à roulettes, sanglée et garnie avec un matelas couvert d'un côté et sur les bords, deux traversins et six carreaux et housses, pour le tout de taffetas blanc doublé de toile, le bois sculpté doré."
A n'en pas douter il s'agissait à cette époque un mobilier fort  luxueux.
Ottomane, sofa, divan ces mots désignent différentes sortes de sièges, mais tous ont une origine turque. Le sofa est un lit de repos à trois appuis, pouvant à l'occasion servir  de siège, le divan est un long siège sans dossier ni accoudoir  pouvant  à l'occasion servir de lit.

Au masculin, ottoman devient un tissu dont la surface est rythmée par une succession de côtes transversales c'est à dire de lisière à lisière et de sillons résultant d'une construction spécifique dite armure cannelée : un grand nombre de fils en chaîne et un nombre plus réduit de gros fils en trame. 
Il n'es pas interdit d'imaginer que certaines ottomanes étaient recouvertes d'ottoman.

ottoman coton. Origine Lyon
Des tissus côtelés il en exisite beaucoup, mais la spécificité de l'ottoman réside dans l'irrégularité du rythme donné par  des côtes très prononcées et plus ou moins espacées.
Utilisé en Turquie depuis le XIIIe siècle, l'ottoman que nous connaissons aujourd'hui n'est qu'une pâle imitation de ce qui fut sans doute un des tissus des milles et une nuits. Autrefois entièrement tissé avec des fils de soie, l'ottoman était réservé à l'usage des sultans et de leur suite.

un ottoman coton et viscose fabrication lyonnaise

Aujourd'hui, le plus raffiné des ottomans est en soie tramé coton ; la chaine en soie est fournie et recouvre totalement la trame constituée d'un gros fil de coton qui crée le relief de la côte dont la grosseur varie en fonction du titre du fil.

un trésor de finesse : un ottoman de soie ikaté en provenance d'Ouzbekistan

Il  existe des qualités d'ottoman plus simples, d'un prix moins élevé  en coton, laine, ou viscose. Il en résulte des étoffes très solides, décoratives, et moins classique qu'une simple toile. Si sa première destination fut la décoration d'intérieur,  aujourd'hui l'ottoman est  utilisé aussi pour l'habillement.

ottoman coton, fabriqué à Lyon dans les années 80

LA FAILLE 
C'est  encore un tissu à côtes horizontales, donc de lisières à lisières. Les côtes sont très fines, serrées, nombreuses. A l'œil, le relief est à peine visible. Il est facile de confondre faille de soie et taffetas de soie, mais au toucher, on sent sous l'ongle les reliefs de la surface.
La faille de soie se distingue du taffetas par un rendu plus rond, plus nerveux et une brillance moins prononcée. C'est un tissu utilisé en haute couture, cher et difficile à travailler. Les contraintes sont nombreuses, aucun repentir n'est possible, la faille s'esquive sous l'aiguille, elle réclame une coupe impeccable, des modèles adaptés à son caractère nerveux mais, pour qui sait comment la maîtriser et en tirer le meilleur, le résultat est magnifique
C'est par conséquent un tissu d'exception pour des vêtements d'exception. Il existe des failles de soie  moirées, ondées, un détail qui accroit l'éclat au tissu et augmente son relief.

Au XIXe siècle, la faille était utilisée pour les robes et les costumes des femmes et pour les cravates des hommes.
Comme pour l'ottoman, les matières premières des failles sont variées : en soie et coton ou en coton et viscose. Cependant, la nervosité est atténuée, la rigidité s'estompe, le maintien est plus faible, mais le coût plus accessible.
Si la faille de soie vendue au mètre n'a pas déserté les rayons des magasins de tissus, elle n'y a cependant jamais été très présente, sans doute à cause de la difficulté de son utilisation et de son prix élevé.

LE REPS
L'étymologie est incertaine et plusieurs hypothèses sont proposées.
Le mot reps viendrait du picard, racler, ou râper, la surface cannelée de l'étoffe pouvant rapeller celle d'une rape.
Autre proposition, le mot reps est un dérivé du mot anglais rib (côte), mais peut être est-ce le contraire. L'anglais aurait puisé le mot reps dans le vocabulaire populaire français en le transformant en rib.
Quoiqu'il en soit, il s'agit encore d'un tissu côtelé. Les côtes du reps sont longitudinales c'est-à-dire parallèles aux lisières à la manière d'un velours côtelé ; le rythme est régulier, les cotes et les sillons sont de même valeur.

reps, rayures longitudinales, mat,  coton/polyester, couleur neutre, années 60,  un classique du genre

Le reps est une étoffe "fantaisie" qui, suivant les époques, fut proposée en soie, en laine puis en coton, Vient ensuite un mélange coton et polyester ce qui en fit une étoffe bon marché utilisée pour l'ameublement. En trame, de longs flottés recouvrent les fils de chaîne ou boyaux formant ainsi les côtes.
Son tissage est relativement lâche ce qui augmente les risques d'accrochages.
Au XIXe siècle, ce tissu fut largement commercialisé et ce, jusque dans les années 1950/60. Généralement en coton donc mat, lourd, solide avec des couleurs plutôt éteintes, comme des bleus gris, des roses fanés, verts tendres, le reps était le tissu idéal pour habiller un intérieur, notamment pour les doubles rideaux et les dessus de lit. On le trouvait facilement et il était bon marché.
Aujourd'hui, ce tissu se fait très rare dans les rayons des magasins de tissus et il a de fait quasiment disparu des pages des magazines de décoration. Ou bien est-ce le contraire ? Pas de reps dans les pages décos des magazines, pas de reps dans les rayons des magasins ?

FAILLE, REPS OU OTTOMAN ?
Ils se ressemblent puisque tous côtelés mais ils se distinguent par la largeur , le  relief et la direction des côtes.
 Les côtes de l'ottoman sont rondes, larges et perpendiculaires aux lisières, celles de la faille sont  fines, nombreuses mais moins lisibles, également perpendiculaires aux lisières, et les côtes du reps sont prononcées et parallèles aux lisières.

La faille étant "presque lisse" supporte l'impression ce qui n'est pas le cas du reps et de l'ottoman, plus souvent unis et très rarement imprimés.
Pour terminer, un petit cadeau pour les amateurs de produits rares : un ottoman imprimé vintage (1970,  laine et soie, origine France.