Ma passion pour les étoffes ne se dément pas, mais à cette innocente activité s'ajoute celle, très épicurienne, des découvertes gastronomiques.
Gourmande ? Gourmet ? Non! J'adopte le mot Foodie qui me sied, du quasi sur-mesure.
J'aurais pu utiliser un mot français mais je m'aperçois qu'il n'y a pas de féminin à gourmet. J'ai cherché en vain et, comme gourmande est un terme trop restrictif, il faudrait associer gourmet et gourmand . Une gourmette gourmande n'est pas aussi efficace que foodie, plus subtile que gourmet, plus nuancé que gourmande, en un mot plus explicite.
Gourmande de saveurs, touriste culinaire, boulimique de voyages mais aussi curieuse, aventureuse, découvreuse, gastronome, en fait une passionnée voilà tout cela résumé en un mot Foodie.
Si je me déplace à l'autre bout du monde pour dénicher un tissu en fibre de lotus dont j'ai entendu parler, je suis tout aussi capable de faire des kilomètres à pieds, à cheval, en voiture et plus si affinités... pour découvrir des saveurs nouvelles, un savoir faire hors du commun, un monde culinaire qui n'a rien de commun avec la mondialisation, un univers créatif, qui souvent cache un individu aussi passionné que passionnant.
Ma plus récente aventure c'était samedi. Partie de Paris Samedi matin, enfin partir est un bien grand mot, ce fut une tentative d'échapper à la capitale, mais avec moult difficultés. Embouteillages, déviations, travaux, accidents, enfin au bout de trois heures Fontainebleau était à l'horizon. La route pour Manigod était bien longue encore. Faire 680 kms pour aller dîner dans une maison des bois c'est un défi, c'est déraisonnable mais comme c'est délicieux d'aller au bout de ses rêves.
Un diner dans le nouveau lieu de Marc Veyrat ça se mérite, dans tous les sens du mot. Aucun panneau, aucune flêche, aucune adresse pour nourrir le GPS qui panique, dans un village qui s'étend sur plusieurs kilomètres. La route est bordée de magasins et de pensions de famille, de tables d'hôtes, de patisseries, d'hôtels au nom de Veyrat. Je suis sur la bonne voie, pas complètement perdue dans ce milieu hostile car il neige abondamment et je n'ai pas prévu les chaînes pour la voiture à propulsion (comprenne qui pourra)
Malgré un anonymat de convenance, un jeu de piste sans piste je suis arrivée dans le monde de Veyrat.
Le nouveau projet de Marc Veyrat a pris forme : le restaurant, la fondation, l'école de cuisine et le studio de télévision, la petite chapelle, le four à pain, l'amphithéâtre, le parcours botanique... tout y était, juché au sommet du col de la croix- Fry.
Un manteau de neige recouvrait la totalité de ce hameau traditionnel tel un joyau dans un écrin virginal. Une robe blanche naturelle pour un baptème (le restaurant est ouvert depuis septembre) qui eut pu rêver plus juste costume?
La foodie était aux anges, une arrivée à pas feutrés, enfoncent ses bottines délicates dans une neige fraiche, divine surprise.
Nous voulions arriver à la maison des bois avant la nuit, la découvrir à la lumière du jour. Alors après trois essais vaincs, nous fûmes guidés par notre hôtelier un autre cousin veyrat.
Le lieu était à la hauteur de mes espérances. Simplissime et naturel. Le bois dans tous ces états, du sol au plancher, vieilli, ciré, verni, naturel, partout il est présent. L'alliance de la chaleur du bois avec le métal et le verre donne une résonnance particulière à ce lieu emprunt d'une rusticité très très revisitée. Pour la note contemporaine on remarque l'alliance du bois avec le verre et l'inox, Ce détournement du passé se retrouve aussi dans le choix des produits du terroir utilisés avec maestria par Marc Veyrat dans son menu unique et imprévisible.
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Il accueille les convives comme des amis, et n'hésite pas à partager leur table si ce n'est partager leur repas. Ici nous sommes dans la salle de restaurant mais juste derrière se trouve la salle de bain du propriétaire des lieux qui jouxte sa chambre. Il habite vraiment ce lieu. |
Dans la réussite architecturale de ce projet, il convient de ne pas oublier les artisans locaux qui on su insuffler à partir de ce matériau empirique qu'est le bois une âme à cette demeure. Leur présence est visible dans la manière dont les poutres sont taillées, ajustée, dans l'irrégularité du plancher, la trace de leurs gestes précis et sûrs sont comme des fossiles prisonniers des poutres, des planchers, des murs.
Ici tout est "luxe, calme et volupté" mais un luxe qui n'a rien d'ostentatoire . Il se ressent instinctivement surtout pour la citadine que je suis.
J'apprécie outre l'ambiance feutrée, l'espace, et le temps de prendre son temps silence, la façon dont Marc Veyrat reçoit chacun des convives,amicalement, chaleureusement un peu comme on reçoit à la bonne franquette de vieux amis. Cela dit, la vérité n'est pas si éloignée, car tard dans la soirée, très tard, après le diner ce fut monsieur Veyrat qui au volant de sa voiture nous raccompagnât jusqu'à notre hôtel, quelques virages plus bas car la neige n'avait pas cessée de tomber et la route était impraticable pour des non- initiés à la conduite sur verglas et poudreuse.
Le soir venu, la maison des bois scintillait comme un ovni posé sur le sommet d'une montagne. Image magique et cinématographique. Une petite chapelle en bois accueille les hôtes avec bienveillance sur le passage.
Une vingtaine de foodies ayant eux aussi bravé les intémpéries. De parfais inconnus avec en commun la recherche de l'exception culinaire.
La nuit venue la vingtaine de convives se retrouva devant l'âtre, réconfortant . Une soupe de châtaigne y somnole dans un récipient en fonte, doucement réchauffé par des buches qui de temps à autre crépitent de joie.
L'imagination de chacun était en éveil. A quelles sauce allions nous être mangé ? Quelles rencontres gustatives insoupçonnées nous seraient proposées, bien que nos papilles soient préparées à des réjouissances abstraites, comment allaient-elles réagir ? Quelles saveurs nouvelles allaient nous surprendre ? Quelles substances licites mais inconnues allait régaler notre estomac ? Comment Marc Veyrat allait-il s'y prendre pour réveiller nos sens somnolents ?
Nous étions ici par la force de notre curiosité et nous n'en sortirons que par la fin d'un festin après une explosion d'idées, des assemblages de couleurs, des mélanges d'ingrédients méconnus, le tout présenté dans une vaisselle créée pour chaque plat par la femme du maître de maison, Caroline Raphaneau.
Ici je tire mon chapeau à l'homme au chapeau noir qui nous fit cinq heures durant les honneurs de sa "modeste demeure", en nous offrant un cadeau inoubliable dont nos papilles et nos yeux se souviendront longtemps avec émotion.
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pour un diner minéral, c'est un bon début. |
Une profusion de textures nouvelles, une succession d'idées ludiques comme cette tartiflette virtuelle, un phénoménale bluff qui fait disparaître des pâtes au beaufort dans un bouillon d'herbes... Cette cuisine minérale se termine par une explosion de saveurs. C'est un voyage immobile physiquement mais moralement il nous mène loin dans la découverte des saveurs.
Ce cacher sans se cacher des médias, habiter son lieu de travail, recevoir dans son univers de parfaits inconnus c'est se faire douce violence.
Cabotin certes, un caractère bien trempé certainement et artiste sans aucun doute.
Entre le sculpteur le peintre et le conteur, monsieur Veyrat est le chef d'un orchestre qui ravit le goût, la vue, le toucher et l'ouïe.
Il nous fait découvrir sa région à travers les saveurs de la végétation, il fait revivre son enfance avec des souvenirs culinaires. je ne vous dévoilerai pas ici les secrets de ses petits plats mitonés avec malice, mais j'en garde un goût d'enfance délicieux.
Un diner, plutôt un spectacle dans lequel le consommateur est acteur et Marc Veyrat le héros. Un parcours gastronomique ludique.
Cet
homme est un artiste tout comme le fut Picasso. Il possède les notions élémentaires de la cuisine, il en maitrise les principes et à partir de là, il élabore des recettes.
Il ose des confrontations audacieuses comme le yaourt et le fois gras, il suscite la curiosité avec une tarfiflette revisitée dans une brique de lait
il fait pleurer dans les chaumière avec son assiette quaisi vide et un morceau de pain dur
et puis, l'homme des bois redevient un gamin gourmand en proposant des roudoudous maison, il ne manquait que le mistral gagnant.
C'est du grand art, et sa palette est vaste, elle oscille entre le classicisme et l'abstraction en passant par l'expressionnisme. C'est sa vie qu'il nous raconte avec son moyen d'expression favori : les produits de son terroir, il manie le cru et le cuit avec élégance, il utilise les herbes sauvages, il fait des émulsions une fanfare pour le palais , ses mélanges de texture sont des poèmes, les amalgames sont des troublions à l'ordre public. Les légumes, les fruits, les poissons sont sa plume, son pinceau, ses mots . Ce vocabulaire inattendu est pour lui le moyen de nous conter son enfance, sa famille, sa réussite professionnelle. Avec son 20/20 et ses 3 étoiles, son parcours difficile, son accident. Comme tout artiste, il met dans ses créations une grande part de lui même, ses sentiments, ses joies et ses peines, ses réussites et ses échecs. Fondamentalement, il recherche votre approbation, il n'a plus rien à prouver, ni à lui ni aux autres mais il aime qu'on l'aime. Il ne cherche plus la reconnaissance des ses pairs, désormais il est libre. Son ciel étoilé lui suffit, pas la peine d'en rajouter sur les menus, d'ailleurs question de confiance, il n'y a pas de menu. Il veut être lui même et apprivoiser des inconnus en les prenant par les sentiments culinaires. C'est une réussite!
Demain, il le rêve tout éveillé grâce à sa fondation. Il estime que la transmission est nécessaire non pas celle des recettes mais celle d'un équillibre, d'un savoir vivre naturel, pas forcément bio mais bon, apprendre à se nourrir c'est vital. A travers son association il veut éveiller les consciences surtout celles des enfants, apprendre à choisir les produits, privilégier les légumes, savoir les préparer, et prendre du plaisir à manger bien. C'est son défi d'aujourd'hui pour un demain gourmand.
La famille joue le jeu, madame fabrique les assiettes la vaisselle, les cousins font les fromages, et lui le chef orchestre cet ensemble avec une joie non dissimulée. Ce bonheur, cette liberté retrouvée il en fait cadeau à ceux qui viennent jusqu'à lui. Il orchestre une symphonie culinaire qui résonne encore à mes oreilles. Grandiose repas, gigantesque créatif.
Je sais que Monsieur Veyrat n'a pas besoin de publicité, ce lieu fait déjà salle comble, mais j'ai eu beaucoup de plaisir à mettre en mots mes impressions, et si j'ai pu vous faire partager ce moment d'exception alors j'en suis ravie.